Patrice Emery Lumumba : le symbole de la volonté d’émancipation

Le vrai tombeau des martyrs, c’est le cœur des vivants. (Jean Cocteau)
Fils d’un paysan, Patrice Emery Lumumba est né le 2 juillet 1925 à Onalua, village situé au centre du Congo ex- Léopoldville. Arrêté à Port-Francqui le 1er décembre 1960, Lumumba est placé en détention à Thysville et subit son assassinat le 17 janvier 1961, au Katanga, sept mois à peine après l’accession de la République Démocratique du Congo à sa souveraineté internationale. Cet ancien Premier Ministre est considéré en République Démocratique du Congo comme le premier héros national de la RDC en raison de sa lutte anticolonialiste. A ce titre, il conserve une place à part en tant qu’un puissant symbole de la volonté d’émancipation des congolais sous l’emprise de la puissance coloniale, la Belgique. Le général Mobutu Sese Seko consacre Patrice Lumumba héros national en 1966.
Il fut un élève brillant, et après ses études, il travailla en tant que journaliste. Le réel élément déclencheur de son nationalisme provient de sa présence à l’exposition universelle de 1958, en Belgique, où l’image affiliée aux congolais y était avilissante. De retour au pays en 1958, il crée le Mouvement national congolais (MNC). Se sentant soutenu, il proclame son désir de voir le Congo Belge devenir indépendant.
Les images de janvier 1961 de Patrice Lumumba, et deux de ses ministres Joseph Okito et Maurice Mpolo, les mains liées dans le dos, brutalisés par des soldats sont difficiles à effacer des mémoires de quiconque les auraient déjà vus. Craignant que du fait de la popularité de Patrice Lumumba, son lieu d’inhumation fasse l’objet de « pèlerinages » de nature à inciter à la poursuite de son combat politique, quelques jours plus tard, les suppliciés furent sortis de terre, découpés en morceaux à l’aide d’une scie, et dissous à l’acide sulfurique… Ces crimes sont l’aboutissement d’une longue crise liée à la tentative d’émancipation du Congo, ex-Léopoldville du joug colonial belge.
Coup de projecteur sur le passé
En 1885, Léopold II, le roi de Belges obtient à la Conférence de Berlin la création, pour son profit personnel, d’un État dénommé Etat « indépendant » du Congo, qui est en réalité une colonie.
Bien que contraints de précipiter le processus, le pouvoir colonial belge, ainsi que les puissants intérêts financiers comme la Société Générale de Belgique qui, par l’entremise de l’Union minière du Haut Katanga gérait l’exploitation des importantes ressources minières du Congo, travaillent à installer des dirigeants qui leur soient favorables, en s’inspirant des « indépendances » des ex- colonies françaises du Cameroun, Sénégal, Togo, etc.
En complicité avec Joseph Iléo, Cyrille Adoula Patrice Lumumba crée en octobre 1958, le Mouvement National Congolais(MNC), parti proche des courants catholiques et social-démocrate belges.
Au scrutin national pour l’élection des parlementaires, le MNC de Patrice Lumumba obtient le plus grand nombre de sièges ; désigné Premier ministre par les parlementaires, il constitue en juin 1960, le premier gouvernement congolais. Aux cérémonies de « l’indépendance » du 30 juin 1960, le roi Baudouin de Belgique prononce un discours qui magnifie le rôle colonisateur de son pays et de son oncle, déclarant que l’indépendance du Congo était « le couronnement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II.
Pendant l’allocution du roi Baudoin, Patrice Emery Lumumba met encore la dernière main au discours qu’il entend prononcer alors que le protocole n’avait pas prévu qu’il prenne la parole. Bravant le protocole et ignorant le roi belge, Patrice Lumumba se dirige vers le micro et s’adresse directement aux Congolais.
« Congolais et Congolaises, Combattants de la liberté, aujourd’hui victorieux, je vous salue au nom du gouvernement congolais. (…) Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. »
Le roi des Belges et les autorités coloniales prirent ombrage de ce qui constituait pour eux un crime de lèse-majesté. Cependant, Patrice Lumumba ne faisait que proférer la vérité des faits historiques. En effet, Le roi Léopold II de Belgique avait mené l’exploitation du Congo au prix d’une répression inouïe, et avait eu recours à un véritable système d’esclavage par le travail forcé et par la terreur, les colons commettant des actes de torture avec mutilations atroces (mains coupées) pour contraindre les populations du Congo au travail.
Quand l’étau commença à se resserrer sur Lumumba
Deux semaines après l’indépendance, des troubles apparaissent au sein de l’armée du nouvel Etat et, profitant de la situation, le pouvoir colonial belge favorise la sécession de la riche province minière du Katanga, qui est « protégée » par des troupes venues de Belgique et des mercenaires, pour certains français.
Désemparé, Patrice Lumumba croit devoir demander l’aide de l’ONU pour l’envoi des casques bleus afin de restaurer l’intégrité territoire du Congo, sous peine de solliciter l’aide de l’Union Soviétique. Malheureusement, le bouclier onusien attendu allait se transformer en glaive ! En désespoir de cause, Patrice Lumumba se tourne vers l’Union Soviétique et obtient un soutien logistique effectif, sous forme de mise à disposition d’avions et des véhicules pour transporter les troupes congolaises loyalistes.
Joseph Kasa-Vubu, Président de la République, poste essentiellement honorifique, déclare le Parlement dissous, et démet Patrice Lumumba de ses fonctions de Premier ministre et de ministre de la Défense. A son tour, Patrice Lumumba destitue Joseph Kasa-Vubu de ses fonctions ; c’est l’impasse juridique avec deux légitimités qui s’affirment. Le 14 septembre 1960, Joseph Kasa-Vubu nomme Joseph Désiré Mobutu commandant en chef de l’armée, qui le même jour exécute un coup d’Etat militaire.
Du fait d’importantes pressions des Etats influents du Conseil de Sécurité, les votes de la plupart des pays initialement en faveur de Patrice Lumumba se reportent sur le gouvernement issu du coup d’Etat militaire ; cette délégation est reconnue représentation légale du Congo.
En octobre 1960, Joseph-Désiré Mobutu tente de faire capturer Patrice Lumumba à son domicile ; mais Lumumba est protégé par les soldats africains de la mission de l’ONU au Congo à qui est lancé un ultimatum pour qu’il soit remis à l’Armée dirigée par Mobutu. Après s’être évadé le 27 novembre 1960, pour se rendre Stanleyville (actuelle Kisangani,) pour tenter de réinstaller son gouvernement au pouvoir, Patrice Lumumba est arrêté en décembre 1960. En réalité, devenu le tout premier ministre du Congo, Patrice Emery Lumumba ne bénéficiait pas de soutiens de poids ; il était isolé, victime de complots politiques qui finiront par avoir raison de sa détermination.
Un tournant politique essentiel
En 1956, il est jugé pour avoir détourné des fonds des comptes de chèques postaux de Stanleyville et condamné à un emprisonnement d’un an. Il vit son incarcération comme une injustice puisque, n’étant pas toujours payé, il considère n’avoir fait que prélever son dû. Il imputait ses malversations à l’illogisme des Belges qui incitaient les Congolais instruits à vivre comme les Européens sans leur en donner les moyens matériels. Libéré par anticipation, il reprend ses activités politiques et devient directeur des ventes d’une brasserie. En cette même année, il est président de l’Association des évolués de Stanleyville.
En décembre 1958, il est présent à la Conférence des Peuples africains à Accra, qui constitue pour lui un tournant politique essentiel. Il y rencontre, entre autres, l’Antillo-Algérien Frantz Fanon, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Camerounais Félix-Roland Moumié, qui ont notamment en commun d’insister sur les effets délétères du régionalisme, de l’ethnisme et du tribalisme qui selon eux minent l’unité nationale et facilitent la pénétration du néocolonialisme. À l’issue de la conférence, Lumumba, désormais fermement indépendantiste, est nommé membre permanent du comité de coordination.
En 1959, la répression s’abat sur les mouvements nationalistes. En janvier l’interdiction d’un rassemblement de l’ABAKO (association indépendantiste) fait officiellement 42 morts selon les autorités coloniales, mais plusieurs centaines selon certaines estimations. L’ABAKO est dissoute et son dirigeant, Joseph Kasa-Vubu, déporté en Belgique.
Débarrassées de Lumumba, qu’elles considéraient comme le chef de la tendance radicale des indépendantistes, les autorités belges organisent des réunions avec les indépendantistes. Une table ronde réunissant les principaux représentants de l’opinion congolaise a lieu à Bruxelles, mais les délégués congolais refusent unanimement de siéger sans Lumumba. Celui-ci est alors libéré en toute hâte le 26 janvier pour y participer.
Le gouvernement congolais livre finalement son prisonnier au gouvernement katangais de Moïse Tshombe, le 17 janvier 1961. Il meurt le même soir.
Six décennies après son assassinat, le discours de Patrice Lumumba est malheureusement toujours d’actualité pour bon nombre d’africains et de défenseurs de la liberté dans le monde : « (…) Les puissances qui nous combattent ou qui combattent mon gouvernement, sous le prétexte fallacieux d’anticommunisme, cachent en réalité leurs véritables intentions. Ces puissances européennes ne veulent avoir de sympathies que pour des dirigeants africains qui sont à leur remorque et qui trompent leur peuple. Certaines de ces puissances ne conçoivent leur présence au Congo ou en Afrique que dans la mesure où ils savent exploiter au maximum leurs richesses par le truchement de quelques dirigeants corrompus. (…) »