L’élongation des petites lèvres : une mutilation fréquente dans le Haut Katanga

L’élongation des petites lèvres : une  mutilation fréquente dans le Haut Katanga

L’élongation des petites lèvres est une pratique traditionnelle des femmes du Haut Katanga en général, et de la tribu Lamba en particulier. A Mimbulu, une cité de la chefferie Kaponda située à 28km au sud-ouest de Lubumbashi dans le territoire de Kipushi, cette pratique traditionnelle est enseignée aux filles à partir de onze ans. Cette initiation rentre dans le cadre de l’éducation sexuelle avec comme objectif principal de préparer la jeune fille à une vie sexuelle épanouie et satisfaisante pour son époux  dans le ménage à l’âge adulte.

Cependant, elle prend une tournure assez déplorable, car elle pousse la fille à une expérimentation sexuelle précoce conduisant aux grossesses indésirables. Les produits indigènes utilisés, notamment les racines, la sève et la poudre issue de certains arbres, sont toxiques et mènent parfois à des conséquences désastreuses. L’organisation mondiale de la santé classe l’élongation des petites lèvres dans la catégorie de mutilations génitales féminines de Type IV. Cette catégorie regroupe toutes les  autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques.

Nancy Chola, 21ans,  est une jeune femme de Mimbulu qui est passée par cette initiation à 11ans. « Maman m’a confiée à une vielle dame qui m’a apprise à étirer mes petites lèvres avec la sève de Kapeta nsofu (un arbre dont la sève sert à cette pratique). Après la première séance, ça chatouillait et faisait vraiment mal, car pour que les petites s’allongent, elles doivent d’abord gonfler. J’ai tenté de saboter cette initiation, mais ma mère et mes tantes m’ont dit que si je ne le faisais pas, je serai une épouse fade qui n’offrira pas le maximum de plaisir sexuel à mon mari. J’ai continué contre ma volonté et aujourd’hui j’ai des petites lèvres d’environs 5cm ».

La situation de Nancy n’est pas exceptionnelle. Elle reflète celle des autres filles pubères et adolescentes des villages du Haut Katanga où une femme qui n’est pas passée par ce rite, est considérée comme ne valant rien sur le lit conjugal. Sidonie Kabaso est une sexagénaire initiatrice des jeunes femmes de Mimbulu. Elle déclare  « une femme qui n’a pas les petites lèvres allongées perd son mariage et voit son mari lui être infidèle ». Selon cette culture, la femme aux organes génitaux naturels n’excite pas convenablement son mari. « Je donne aux petites filles des poudres qu’elles mélangent dans la bouillie, des racines ou je me rends avec elles en brousse en vue de le faire avec de la sève fraiche ». Elle ajoute : « nous commençons l’initiation à cet âge parce que l’organisme de la petite fille est en pleine transformation et les premières règles ne sont pas encore arrivées. Les petites lèvres s’allongent vite et sans trop de peine ».  « Elles atteignent 5cm dans les deux semaines qui suivent. Si elles dépassent cette longueur, la femme commence à être très humide dans son vagin, jusqu’à rendre désagréable les ébats sexuels », conclut-elle.

Pour Prince Kaponda, l’élongation des petites lèvres de la jeune fille à travers le Kisungu (Ndlr initiation de la jeune fille) fera d’elle une femme de valeur au foyer qui offrira à son mari les meilleurs petits soins. « Elle est attirante et satisfait son mari. C’est une valeur traditionnelle de la femme Lamba », déclare-t-il.

 Une pratique qui pousse à l’expérimentation précoce du sexe

Nancy avoue « après l’initiation, j’ai eu une forte curiosité à expérimenter le sexe, car on m’a dit que je dois offrir du plaisir à l’homme. J’ai eu ma première relation sexuelle à 13ans et je suis tombée enceinte à mon troisième acte à 17ans. J’ai dû arrêter mes études pour me retrouver dans le ménage ».

Cette thèse est confirmée par un expert en santé de la mère et de l’enfant, le docteur Hugues Kakompe. « Pendant les séances d’initiation, la manipulation des organes génitaux provoquent l’excitation qui pousse la jeune fille à expérimenter précocement le sexe, souvent sans aucune protection.  Elle expérimente la maternité à un bas âge en encourant des risques sanitaires tels les complications durant l’accouchement et la fistule obstétricale ».

Un personnel soignant de la zone de santé de Kipushi, ayant requis l’anonymat indique que plus de 60% des jeunes femmes qui accouchent, ont des petites lèvres étirées. Elles sont généralement âgées de moins de 20ans. Après la maternité, elles poursuivent difficilement leur scolarité, renchérit-il.

Une pratique boudée des adolescentes et interdite par la loi

La majorité des adolescentes de cette contrée boudent cette pratique qu’elles considèrent comme dépassée. Cependant, elles le font à cause de la pression  exercée par les membres de famille, voulant conserver les pratiques traditionnelles.  Il sied de noter que ces jeunes filles allongent les petites lèvres  souvent contre leur gré. Elles s’insurgent contre cette pratique qu’elles considèrent comme leur chosification sexuelle, et une forme de maltraitance du fait qu’elles doivent endurer la douleur.

Du côté des jeunes hommes de cette tribu, les avis sont partagés quant à l’importance accordée à cette pratique. Sur 20 hommes interrogés sur les avantages de cette pratique, 14 estiment que la jeune fille ne doit apporter à son organe génital une quelconque modification sous aucun prétexte, quel qu’il soit. Ils relèvent que c’est une forme de réduction de la femme à un objet de satisfaction sexuelle pour l’homme. Les six autres par contre soutiennent que les longues petites lèvres sont la caractéristique culturelle d’une femme bien préparée et éduquée à la vie sexuelle dans le couple.

Pourtant cette pratique est interdite tant par les textes légaux  nationaux que régionaux. La législation congolaise punit cette pratique.  La loi du 20 Juillet 2006 portant code pénal congolais stipule en son article 174 que, quiconque  aura posé un acte qui porte atteinte à l’intégrité physique ou fonctionnelle des organes génitaux d’une personne, sera puni d’une servitude pénale de deux à cinq ans  et d’une amende de deux cents mille francs congolais. Le protocole de Maputo quant à lui, adopté et ratifié par la RDC, interdit et condamne toutes les formes de pratiques néfastes qui affectent négativement les droits humains des femmes et qui sont contraires aux normes internationales.

Bien qu’étant une forme de mutilation interdite, les rapports médicaux affirment que les filles qui  la subissent, présentent  souvent des problèmes gynécologiques, pouvant les poursuivre toute leur vie.

Une pratique aux conséquences fâcheuses

Hormis l’activité sexuelle précoce, l’élongation des petites lèvres a des conséquences fâcheuses, que celles qui la pratiquent ignorent. Douloureuse lors de l’étirement, cette pratique cause des lésions invisibles à l’œil nu au clitoris. Ces lésions peuvent constituer un boulevard des infections sexuellement transmissibles.

La toxicité des produits indigènes appliqués altèrent le fonctionnement des organes génitaux, causant parfois des écoulements vaginaux malodorants et la cancérisation chez près de 60% des femmes l’ayant pratiquée, assure Dr Hugues Kakompe. « J’ai connu le cas d’une femme de 42 ans, qui a eu une croissance très hypertrophiée d’une de ses petites lèvres. La petite lèvre a crû jusqu’à la cheville, contraignant cette femme à l’enrouler pour la retenir attachée contre son ventre à l’aide d’un tissu afin de s’assurer une vie et une mobilité normales », avoue-t-il. Il affirme encore que chez certaines jeunes femmes, cette pratique a provoqué l’écoulement des liquides, la mouillant à chaque instant et rendant ainsi désagréable sa vie et de couple et communautaire.  Le gonflement causé par les étirements provoque une multiplication désordonnée des cellules. Ces cellules accélèrent à leur tour une croissance non rythmée de l’organe qui mène à l’apparition des multiples formes de cancer, tels celui du vagin, de la vulve et du col.

Ils fustigent que cette pratique soit effectuée sans respect d’aucune norme hygiénique avec 99% des hauts risques infectieux. Il lui arrive de constater les abcès génitaux, rendant impossible toute activité sexuelle satisfaisante.

La RDC est cependant soucieuse d’éliminer cette pratique néfaste qui viole l’intégrité physique de la fille. Elle veut que les adolescentes assurent le contrôle de leur corps et de leurs fonctions reproductives. A cet effet, elle s’est alignée aux différents engagements internationaux relatifs à la santé sexuelle et reproductive des adolescents et a développé des normes, directives et guides techniques en lien avec les recommandations et standards internationaux. Elle a mis sur pieds des stratégies afin de l’éliminer les pratiques nuisibles et assurer le bien-être des adolescents, en ce qui concerne la santé sexuelle et reproductive.

Un plan stratégique pour assurer le bien-être des adolescentes

La RDC a, à travers le programme national de la santé des adolescents PNSA en sigle, élaboré un plan stratégique national de la santé du bien-être  des adolescents et des jeunes qui va de 2016 à 2020. Ce programme offre la possibilité aux jeunes de 10 à 24 ans de s’informer à travers des centres de jeunes, sur les questions sexuelles et reproductives, assure la représentante de l’antenne provinciale du PNSA, Dr Angèle Assily. Les jeunes trouvent des réponses à leur questions sur la sexualité à travers les sensibilisations menées sur la thématique des pratiques sexuelles néfastes, notamment la plus répandue et fréquente dans le Haut Katanga, qu’est l’élongation des petites lèvres.

Ce plan a deux principaux axes stratégiques à savoir la communication stratégique et la mobilisation communautaire pour la promotion de la santé des adolescents et des jeunes ; et l’implication et la responsabilisation des adolescents et des jeunes dans la promotion de la santé. Le premier s’effectue à travers des sensibilisations massives dans des centres de jeunes  pour que les communautés comprennent les problèmes spécifiques des adolescents. Le second vise l’appropriation par les jeunes des réponses du gouvernement à leurs besoins et la prise de décision par eux-mêmes sur les questions sexuelles. Dr Angèle Assily martèle que les jeunes ont appris à résister à cette pratique grâce aux actions menées par le PNSA.

Néanmoins, les défis à relever par la RDC demeurent. Le pays fait face à l’insuffisance des structures de prise en charge des jeunes et à celle de prestataires de soins et de services formés en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes, l’instabilité des ressources humaines formées, la faible motivation du personnel et la faible vulgarisation et application des textes légaux et règlementaires, a relevé Dr Angèle Assily.

L’élongation des petites lèvres une pratique néfaste profondément ancrées dans la tradition de nombreuses tribus du Haut Katanga, où elle est associée à la valeur de la femme. Elle est habituellement faite par la fille et la femme tant pour des raisons de jouissance masculine et de fierté que par obligation culturelle. Le seul moyen de l’éradiquer est d’amplifier les séances de sensibilisation et de vulgarisation des lois en insistant également sur les conséquences désastreuses que vit la femme et la jeune fille. Ceci en vue de déconstruire et d’éliminer les clichés traditionnels entretenus dans les milieux ruraux par les leaders coutumiers.

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