Haut-Katanga : les forêts communautaires vont-elles sauver le bois rouge de l’extinction ?
Un calme précaire règne dans le Miombo, la forêt claire du Sud-Est de la République démocratique du Congo, une année après l’interdiction de couper le « mukula », le bois rouge ou Padouk (Pterocarpus tinctorius). Mais personne ne sait pour combien de temps. Ni les défenseurs de l’environnement, ni moins encore l’administration locale laissée sans marge de manœuvre dans la gestion de la ressource forestière. Quant aux paysans, peu seulement commencent à réaliser à quel point une exploitation « agressive » leur est désavantageuse.
Au cours de la dernière décennie, d’après une étude du Center for International Forestry Research (CIFOR), du bois de rose (mukula) africain d’une valeur de 9 milliards de dollars américains a été exporté en Chine.
Les estimations varient entre 90.000 et 150.000 hectares de forêts affectés chaque année durant la période de frénésie du bois rouge. Et le chiffre d’affaire atteint les 3 millions de dollars, en Zambie, en RDC ou encore au Malawi. Cette explosion de la demande du bois rouge correspond à l’appétit croissant de nouveaux riches en Chine pour les meubles néo-antiques.
(Haut-)Katanga, la ruée vers le bois rouge
Jusqu’en 2012, selon les spécialistes, le mukula n’est connu que d’un petit nombre des Katangais. Ils en font un trafic clandestin et les autorités du Katanga riche en cuivre et en cobalt, au Sud-Est de la RDC, ne l’apprennent que lorsque les paysans dénoncent la présence d’étrangers dans leurs forêts. Des ressortissants chinois sont alors expulsés. Mais ils reviennent peu de temps après par la Zambie voisine.
Le mukula, que les paysans n’utilisent que pour servir de traverses ou piliers des habitations, se révèle l’objet d’une frénétique course à l’enrichissement rapide. L’exploitation « agressive », d’après la description qu’en fait Monseigneur Fulgence Muteba, l’évêque catholique de Kilwa–Kasenga. Il est même devenu la principale voix qui alerte sur une exploitation « anarchique » du bois rouge.
Mais la tentative de régulation de l’exploitation de cette espèce rare s’arrête en 2015. C’est lorsque Kinshasa démembre le Katanga en 4 nouvelles provinces dont est issue l’actuelle province du Haut-Katanga, où le mukula est coupé. La levée de la mesure qui limite la coupe du bois rouge au semestre août-novembre de chaque année, par les nouvelles autorités provinciales, ouvre la voie à la 3e vague de la ruée vers le bois rouge. La plus importante, elle dure jusqu’en 2018, embarquant jusqu’à 8 nationalités : des Congolais, des Chinois quoique naguère moins apparents, et même des Ivoiriens, assure un membre de la commission catholique Justice et paix, active dans la défense de l’environnement.
« Si on continue dans cette anarchie qui est enrobée dans la corruption, note Monseigneur Fulgence Muteba, nous n’aurons plus de forêts à la longue. Les petits-enfants de nos petits-enfants, pour voir la forêt, seront obligés de prendre l’avion pour aller en Europe ou en Amazonie ».
« Les grosses légumes » font main basse sur la forêt de miombo
La fermeté affichée par les autorités du Katanga a donné naissance à deux pratiques de contournement. D’abord, beaucoup d’exploitants chinois se sont rangés derrière des nationaux, des natifs du Katanga. Ensuite, d’autres Congolais porteurs ou non d’autorisations de Kinshasa, ont investi la filière. Ce sont les « grosses légumes », d’après l’appellation qui permet de ne pas les nommer à Kasenga.
Parmi ces « grosses légumes » figurent, selon les informations concordantes, figurent des hauts responsables de l’Etat : gouverneurs de province ou leurs ministres, officiers des forces de sécurité ainsi que des membres du gouvernement national, ou encore des proches de l’ancien président Joseph Kabila. De rares paysans, ayant vendu leurs biens pour s’offrir les moyens d’exploiter ce précieux sésame, ont eux aussi investi le circuit illégal.
Officiellement, d’après un rapport que nous avons pu consulter, l’administration environnementale de la province n’a enregistré que 13 exploitants/exportateurs munis d’au moins une autorisation du ministère de l’environnement. Parmi eux, 3 sont des personnes physiques ou des sociétés d’origine chinoise.
Les villageois lambadas, eux, ont travaillé souvent pour 4 à 10 USD l’arbre abattu ou transporté jusqu’au camion. Ils ont aussi servi à identifier les bois dans la forêt. « Nous avons des listes des travailleurs qui n’ont pas été payés, des montants parfois colossaux. Des gens étaient parfois nourris de fausses promesses : ils ont travaillé, et après, ils n’étaient payés. Pour la plupart de travailleurs, ils se plaignent beaucoup », assure Modeste Lumbwe, coordonnateur de la Société civile forces-vives.
Au pays de mukula, loin de l’administration publique
Jusqu’en 2018, l’exploitation du bois rouge s’est développée dans plusieurs contrées du Haut-Katanga. Mais la localité de Kasomeno (et Malambwe), en est devenue l’épicentre. C’est pour être le terminus de la route numéro 5, asphaltée, qui relie les territoires de Kilwa et de Kasenga, touchés par l’exploitation du bois rouge.
La faible présence de l’Etat dont l’administration de base ne se concentre que dans le chef-lieu des territoires est frappante. Et l’exploitation sans respect de normes en a profité. Puisque souvent, les exploitants ont préféré s’arranger avec les chefs traditionnels. Le fait d’offrir 1000 ou 3000 USD à un chef traditionnel ayant souvent suffi, selon la société civile, pour contourner l’exigence d’élaborer un cahier de charge. Or, parmi ces chefs, certains n’ont pas toujours la maîtrise de mesurage exact, en ce qui concerne les concessions forestières. Conséquence : pour 1 hectare, certains exploitants en ont pris plus.
Ainsi, plus d’inventaire forestier, et plus de sélection de taille de plantes à couper. Même des jeunes plantes de 10 cm de diamètre ont été prises. Et le transport des grumes ne pouvait épargner d’autres écosystèmes alentours. « Le tout se fait dans une anarchie totale », pointe Monseigneur Fulgence Muteba. Pourtant, « C’est après avoir inventorié le potentiel forestier que l’Etat devrait lancer l’offre d’exploitation », explique John Katanga.
Dans ces conditions, note l’expert forestier Jonathan Ilunga (Université de Lubumbashi), il devient difficile d’évaluer après exploitation, si l’exploitant a respecté le contrat. Difficile aussi d’exiger de lui des réparations possibles.
« Quand la ville mange la forêt »…
Ce déficit de gouvernance forestière, à la lumière de la coupe du bois de padouk, éclaire une déforestation plus aigüe. Elle provient d’une demande toujours forte du bois-énergie par la ville de Lubumbashi (2,5 à 6millions d’habitants). Plus poétique, mais un air choqué, Monseigneur Fulgence Muteba constate que « la ville mange la forêt ». Une reprise du titre du livre de Dominique Louppe (et al. 2013, Quae) consacré aux défis du bois-énergie en Afrique centrale.
Cette déforestation est particulièrement accentuée par l’apparition des fabricants de charbons de bois, le makala, en swahili. Des localités, parfois de 2 ou 5 cases très peu durables, cultivent aussi le maïs et le manioc. Ce sont « des chômeurs qui fuient la misère à Lubumbashi et qui viennent essayer de se débrouiller ici », explique l’évêque catholique. On estime qu’en moyenne, un agriculteur (sur brûlis) coupe 2 hectares de forêt, sans compter l’activité de carbonisation.
Mais si la course au bois de padouk a suscité la controverse, c’est aussi en raison de l’absence de retombées pour les riverains. « Nous sommes locataires, mendiants de nos propres richesses », regrette le jeune Jean-Baptiste Kisama, président de l’association socioculturelle Sympia. Pour lui, les exploitants des forêts ont aussi exploité la population.
« Nous, on se demande qui sont bénéficiaires de cette exploitation et des taxes qu’ils disaient payer. Dans nos marchés, les mamans paient [les taxes] pour vendre. Et que dire de ceux qui venaient de loin pour exploiter nos forêts ? », déplore Jean-Baptiste Kisama.
Laisser pourrir ou revendre le bois coupé et abandonné dans la brousse ?
A ce jour, beaucoup de bois de padouk se détériore dans la forêt, depuis l’interdiction subite en 2018. Décision prise dans la précipitation, alors que les autorités zambiennes avaient arrêté près de 500 camions chargés de bois rouge en provenance de la RDC sans éléments traçables.
Dans la foulée, du bois dont les exploitants n’avaient pas pu montrer les autorisations demandées lors des contrôles des titres, avait été saisi puis autorisé d’être vendu. Selon les données de la société civile de Kasenga, jusqu’à 70% d’exploitants portaient de faux documents. « Et même les 30 autres, tout n’était pas parfait comme l’exige la loi », note une source.
Jusqu’à avril 2020, beaucoup de grumes sont est restées abandonnées dans la forêt et dans les localités du Haut-Katanga. Jusqu’en 2019 à Lubumbashi, 600 m3 sur un total de 5.015 m3 du bois saisi ont été vendus à 2 exportateurs. Il s’agit de la société Muhungano (500m3) et des Etablissements Bozzo Kabila (100m3), sur autorisation du gouvernement.
Des camions ont aussi été vus à Malambwe, à Kasomeno et à Kasenga, chargés de ce bois, à la fin du mois d’avril 2020. D’après Jean-Pierre Philippe Makina, superviseur de l’environnement dans le territoire de Kasenga, « ces camions-là ne partent pas d’une manière abusive. Il y a une administration organisée ». Autrement dit, les exploitants qui ont satisfait aux contrôles de la commission établie en décembre 2018 ont l’autorisation de reprendre le bois coupé et de le vendre.
Entre survie des paysans et des forêts
La gouvernance forestière lacunaire induit aussi un déficit de sensibilisation et même d’implication des populations dans la protection de leur environnement. Les initiatives orientées dans le cadre de la protection des écosystèmes fragiles, le cas de la forêt claire qui abrite le mukula, butent souvent sur le choix entre les besoins immédiats de survie pour les populations économiquement précaires et les actions de gestion durable.
« L’évêque, lui, va nous donner à manger ? », rétorquaient les jeunes de Kasomeno, contre l’activisme de Monseigneur Fulgence Muteba au sujet de la coupe du bois rouge. Après coup, indique toutefois ce religieux, des changements d’attitudes commencent à se manifester. Puisque depuis que l’exploitation a été interdite, certains habitants se retrouvent bien pauvres et malades et réfléchissent sur leur sort.
« Je préfère ne pas en parler », réagit laconiquement un jeune père (une quarantaine), en train de ranger du charbon de bois dans un sac, dans une localité de 3 maisons à 9 km de Kasomeno. « Beaucoup de ces jeunes sont pauvres et tombés malades, incapables de travailler même dans leurs propres champs. L’homme a été exploité, comme à l’époque de la colonisation belge », dénonce Jean-Baptiste Kisama de l’association Sempya à Kasenga.
Avec plus de recul, la ruée vers le bois rouge du Haut-Katanga impose à l’Etat de réorganiser la gouvernance forestière, estime Monseigneur Fulgence Muteba. Pour lui, il va falloir « s’habituer à travailler dans l’ordre » pour que les richesses du pays profitent à tous et non pas à un groupe.
Les forêts communautaires, et finies les craintes ?
Les défenseurs des forêts affichent leur optimisme. Le projet Miombo, que la FAO exécute pour le gouvernement de la RDC dans le Haut-Katanga, pourrait bien servir de cadre pour une gestion durable des espèces menacées et des écosystèmes entiers. Ce projet se focalise sur la gestion communautaire des forêts claires par les paysans eux-mêmes. Et à ce jour, il présente quelques 229.000 hectares mises sous gestion. Même si, jusqu’à mai 2020, l’attribution des documents officiels piétine. Or, ils devraient rassurer les communautés, à l’instar de la localité de Shonongo (100 km de Lubumbashi), que les concessions forestières qu’elles gèrent ne leur seront pas arrachées.
Les 250 habitants de cette localité, une des 30 que la FAO encadre, sur la nationale n°5, ont défini leurs propres normes d’exploitation des ressources de la forêt. Il est interdit, explique le chef Shonongo, de couper un arbre d’un diamètre inférieur à 40 cm pour le bois d’œuvre. Les paysans replantent aussi les essences forestières de bois d’œuvre comme le miombo, le musase ou le mukula.
« Nous en avons planté 5000 », explique Arthur, le secrétaire du chef de localité, en nous introduisant dans la clairière. Mais l’ampleur du travail à réaliser exige un engagement de tous, et surtout de la patience. Puisque, jusqu’à quelques 2 km de la localité, au cœur de la clairière, on peut voir des jeunes arbres coupés pour simplement y ramasser des chenilles.
Pourtant, en parlant de mukula, le bois rouge que les paysans découvrent cultivable par bouturage, il faut s’enfoncer loin dans la forêt pour en voir des arbres. « On coupait d’une manière pas très bonne, au point qu’aujourd’hui certaines espèces de bois d’œuvre comme le bois rouge commencent à disparaître », s’inquiète Arthur. Mais, tempère pour sa part l’expert forestier John Katanga de la FAO, à certains endroits, dans la même contrée, la concentration du bois rouge est dense. « Il est très visible à quelques 100m de la route ou des villages », précise-t-il.
Les forêts communautaires sont ainsi présentées comme une possibilité d’éviter l’extinction des espèces surexploitées comme le bois rouge. C’est pourquoi, insiste Monseigneur Fulgence Muteba, en mettant de l’ordre dans la gouvernance forestière, les forêts communautaires devraient insister sur l’intensification de l’éducation environnementale dans la région.
Cet article a été réalisée avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.
Par Didier Makal