RDC-lenteur dans l’administration de la justice: a qui l’imputer?
D’une façon générale, la justice a la charge de protéger l’honneur et la fortune des personnes physiques et morales, leurs intérêts financiers et moraux. Or, qu’advient-il de cet ensemble depuis un certain nombre d’années ? On constate –on est forcé de constater qu’un fort volume d’affaires de tous ordres ou espèces met un temps infini avant d’être réglé par la justice.
Le moindre procès, que ce soit devant le juge de paix, les tribunaux de grande instance et surtout devant les cours d’appel, la moindre procédure prend des mois, ou plutôt des années à trouver une issue. Tout plaideur sait qu’il doit s’armer d’une infinie patience avant d’y obtenir le jugement. Et lorsqu’enfin la justice est rendue, il faut encore voir s’il lui est possible de récupérer son dû ou de faire triompher son bon droit de manière effective ensuite.
Les durées trop excessives des procès rendent à bien des égards problématique l’exécution des jugements et arrêts : une partie peut avoir disparu, être décédée, tombée en faillite ou en déconfiture. Le service censé apporté par la justice après de longs moments d’attente est mis en péril ou voué à l’échec par le seul effet du temps qui s’est écoulé entre les débuts d’un litige et sa solution judiciaire.
Avocat de son état, Jean-Félix fait observer : « Le moindre citoyen, l’homme de la rue, toute personne quelconque ayant des yeux pour voir et des oreilles pour entendre se rend compte à présent que l’état de la justice est devenu déplorable, en RD Congo. Quand on parle de la justice, ce n’est pas seulement pour viser les affaires pénales mais il y a aussi les questions de nature civile et commerciale, qui représentent au jour le jour le plus gros des affaires traitées par les cours et tribunaux ».
Cette lenteur évidente serait-elle associée à la corruption ?
Pour Maître Michael, Avocat au barreau de Lubumbashi, la question n’est pas aisée à trancher vu que la corruption est une matière complexe. A ce propos, il se réfère au Code Pénal Congolais Livre II qui définit la corruption comme suit : « c’est le fait pour tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou parastatal.
Toute personne représentant les intérêts de l’Etat, d’accepter ou d’agréer des offres ou promesses pour faire un acte injuste ou de s’abstenir de faire un acte qui rentre dans l’ordre de ses devoirs». Pour cet Avocat près la Cour d’Appel de Lubumbashi, et en rapport au cas sous examen, à savoir la lenteur dans l’administration de la Justice congolaise, il fait savoir a priori que la détection de la corruption dans les rouages de la justice n’est toujours pas une mince affaire.
Au départ, il précise que la lenteur dans l’administration de la justice est bel et bien justifiée par la non motivation. Mais à ce niveau et avec beaucoup de réserve, il s’interroge : « Cette lenteur ne peut-elle être considérée de facto comme un acte de corruption ? ». Et à lui-même de répondre : « Nous laissons l’opinion décider».
Notre interlocuteur évoque une réalité commune au niveau des Parquets où un officier du ministère public(OMP) peut se saisir d’office d’une plainte déposée par un particulier. Lors de l’instruction du dossier, l’OMP invite l’accusé et organise la confrontation entre toutes les personnes concernées.
Il se dégage, lors de l’instruction pré juridictionnelle certains indices sérieux de culpabilité contre la partie accusée. Au cas où celle-ci s’affiche influente, bien positionnée, il arrive que le Magistrat instructeur se voit dans l’impossibilité de mettre la main sur la personne accusée. Soit, ce sont des injonctions de la hiérarchie qui descendent ; voire l’OMP se laisse séduire par la position financière de l’inculpé. Quelquefois, c’est au niveau du secrétariat du parquet où le dossier est « gelé » à volonté pour pousser la partie victime à « lâcher » quelque sou. Autrement, la correspondance risquerait de moisir dans les tiroirs au secrétariat!
Pour cet Avocat, une autre cause de la lenteur dans l’administration de la justice, en plus du fait que les magistrats sont mal entretenus, réside dans le fait que parmi les magistrats, il y en a qui ne maîtrisent pas l’administration. Autant de causes qui entretiennent cette lenteur.
S’exprimant en sa qualité de défenseur des droits de l’homme, au sein de l’ASADHO/Haut-Katanga, le défenseur des droits de l’homme Jean-Claude BAKA soutient : « Nous reconnaissons qu’il y a une lenteur dans l’administration de la justice dans notre pays et notre province».
De son expérience d’acteur de la Société civile, il note que parmi tant de causes, le secteur de la justice n’est pas pris en charge à 100% par l’Etat Congolais. Les frais de justice ne sont pas assurés.
Pour plus de clarté pour la suite de son propos, le représentant de l’Asadho se réfère premièrement à la mission dévolue aux officiers de police judiciaire(OPJ). A ce propos, la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi no11/ 002 du 12 Janvier 2011, qui dispose en son article 17 que « la liberté individuelle est garantie ; elle est la règle; la détention l’exception.» En plus, il évoque aussi le Décret du 1 août 1959 relatif à la procédure pénale et l’ Ordonnance no 78/289 du 03 juillet 1978 se rapportant à l’ exercice des attributions des officiers et agents de la police judiciaire dont les officiers de police judiciaire(OPJ) et les agents de police judiciaire(APJ) étant donné que c’ est à eux qu’ incombe cette détention qui est aussi l’ une des sources de la lenteur de la justice. Tout peut arriver pour geler le dossier de justice par manque de moyens ou mauvaise foi.
Parce qu’ils manquent les frais de justice pouvant leur permettre d’exécuter le mandat dans le temps réglementaire, ils peuvent occasionner la lenteur.
Ces acteurs judiciaires ont également le mandat de recevoir les dénonciations, les plaintes et les rapports à ces dénonciations et de mener les enquêtes chaque fois qu’ils sont saisi d’une plainte, d’une dénonciation ou d’un rapport. L’accomplissement de toutes ces missions exigent que les OPJ et les APJ disposent des moyens soit pour la mobilité soit pour l’enquête ou la communication.
Evoluant sur cette lancée, M. Jean-Claude évoque l’article 18 de la Constitution qui stipule : « Tout infracteur doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité ». Selon le code de la procédure pénale évoqué par cet activiste « Pour toute infraction de sa compétence, l’OPJ peut faire payer une amende qu’il estime que même si l’affaire était transmise à la juridiction de jugement, c.-à-d au tribunal, celle-ci se limiterait à fixer la simple amende ou la confiscation ou invite l’ infracteur de verser une somme au trésor public »(Article 9 alinéa 1 du code de procédure pénale)
A ce niveau la lenteur se découvre dans l’intervalle de l’ouverture du dossier au paiement de l’amende qui est l’issue des négociations entre parties au cas où l’OPJ fixerait une amende élevée.
Sous cette rubrique qui concerne les responsabilités de l’OPJ, la lenteur dans l’administration de la justice peut être observée sur plusieurs pratiques qui traduisent la corruption devant les offices des OPJ, note M. Jean-Claude, de son expérience de défenseur des droits de l’homme et de membre de la société civile. C’est notamment la majoration des frais de justice, le paiement des amendes sans quittance, le trafic d’influence, la manipulation des textes des lois et la mauvaise interprétation, voire des affaires civiles qui n’ont rien d’infractionnel, les ingérences politiques, etc.
Jean-Félix conclut la réflexion : « Introduire une cause devant le tribunal se fait très vite, mais, à ce stade, le plaideur n’est nulle part : il doit solliciter des fixations après mise en état des dossiers en vue de les plaider. C’est là que tout se dégrade, le temps passe et tant d’affaires sommeillent des mois durant, des semestres et parfois des années avant d’être prises en considération en audience publique. Même alors, il arrive que les juges reportent les causes à plus ou moins lointaine échéance pour un motif ou un autre, parfois futile, avant de décider et, lorsqu’ils les mettent en délibéré, de prendre tout leur temps avant de se prononcer. On dirait quelquefois que le temps n’a point de prise sur eux. On pourrait même croire aussi qu’ils en oublient de juger des causes entendues en semaines, sinon des mois, parfois plus d’un an après les débats !
C’est là que gît la lenteur de la justice, une lenteur qui aggrave sans conteste ce qu’on appelle l’arriéré judiciaire … ». A suivre