Les maïs et haricots destructeurs des forêts et des savanes du centre de la RDC
Les cultures commerciales de maïs, arachides et haricots mangent la forêt à Kalamba et dans les environs, dans le territoire de Kapanga limitrophe de la province du Kasaï-Oriental, au centre de la République démocratique du Congo (RDC). De nombreux massifs de forêts galeries disparaissent les uns après les autres. Les activités agricoles intenses qui ont démarré depuis la fin de la décennie 1990 demandent, chaque année, plus de forêts qu’il en existe.
Dans cette région éloignée de plus de 1000 Km des célèbres mines de cuivre et de cobalt du Katanga, et de celles de diamant dans les Kasaï voisins, la terre est une richesse absolue. Les conditions pour y accéder, parfois, font cogner les têtes. En plus, d’intenses activités de déforestation contribuent aux perturbations climatiques. Les récoltes, quant à elles, n’encouragent plus les cultivateurs et les perspectives n’y sont plus très bonnes.
À Kalamba, une cité de plus de 40.000 habitants, par exemple, il faut cultiver, à la main, pour tout s’offrir. Scolarité des enfants, bâtir sa maison en matériaux durables comme il en existe en ville, payer un vélo, une moto, ou simplement s’habiller, tout vient de là. Il faut des pluies régulières, et de courtes périodes de sécheresses intermédiaires durant la saison pluvieuse pour, en plus, espérer plus de récolte. Or, le cycle de pluies même se trouve perturbé.
La localité de Kasar et la résistance à une déforestation frénétique
Kasar, sur la route de Chiying en provenant de Kalamba, est l’un des rares villages de la région qui conserve encore de nombreuses forêts. C’est une localité d’environ 3000 âmes, où les maisons en briques cuites couvertes de toitures en tôles remplacent de plus en plus celles en matériaux moins durables. Ses chefs traditionnels ont longtemps résisté aux demandes de coupes.
La marche dans la savane est longue pour Emmanuel Muland et Mukaleng Munung II, chef de Kasar. Ils se plongent dans la forêt de Kon (dit da Kon en Uruund ou lunda, langue parlée dans le territoire de Kapanga), qui attise les convoitises.
Comme beaucoup dans le village, en ce matin de mai 2022, le chef de la localité inspecte les travaux d’abattage d’arbres par ses employés occasionnels. Kainda, 25 ans environ, coupe les forêts depuis 5 ans. Pour un hectare, il reçoit un paiement de 200.000 francs congolais (100 USD). « C’est un très grand travail. Nous souffrons beaucoup, et nous suons beaucoup pour cela. Nous nous efforçons pour y parvenir, sinon ce n’est pas facile », dit-il.
En théorie, chaque cultivateur intéressé rase 1 à 2 hectares de forêts au cours d’une saison culturale. Celle-ci démarre à mai, en début de la saison sèche. Ceux qui peuvent se payer les services des tiers en coupent plus encore. Chiband Rubuz est père de 10 enfants, à 40 ans environ. Il lui faut de vastes champs pour espérer plus de récoltes. « La vie, ici chez nous, c’est l’agriculture. Il n’y a pas d’autres issues », explique-t-il.
Terres forestières, les raisons d’une ruée
Les champs élaborés en forêt ont une garantie de bonnes récoltes de cinq ans, en répétant les mêmes cultures rentables : maïs et haricots surtout. Ce que les savanes n’offrent pas. Lors des premières coupes, les haches et machettes n’épargnent ni jeunes pousses ni arbustes. La forêt est détruite de fond en comble, et brûlée dès juillet-août, la période la plus sèche de l’année en cette zone intertropicale. « C’est dans les forêts qu’il y a une grande fertilité. [Or]. Presque les deux tiers sont déjà parties » en déforestation, explique Eugène Tshibang Mukuit, préfet de l’Institut Kovijan de Kalamba qui organise une option agricole au secondaire. Dans ces conditions, les gens doivent revenir aux savanes. Pourtant, les récoltes de maïs ont baissé. « Personne n’arrive à produire 2000, 3000 seaux de maïs », explique-t-il.
La dégradation des sols explique rend plus dure encore la vie. Elle fait fuir surtout des jeunes, accroissant l’exode rural vers les villes minières du Katanga. « Il n’y a que l’agriculture pour survivre. Si tu n’as pas étudié, tu n’as pas de travail. Alors on n’a rien à faire. Il faut cultiver », se plaint le chef Mwin Kalamb-ka-Zeng Mulombu. Et d’ajouter : « Les « récoltes ne sont plus bonnes, les forêts se sont épuisées. Il ne reste plus que des lambeaux de forêt ».
Il s’en suit que les effets des changements climatiques liés à la déforestation sont de plus en plus ressentis ici. Le préfet Eugène Tshibang note que le cycle des saisons est perturbé. « Dans le temps, nous savions que vers le mois de mai, la saison sèche commence. Maintenant, nous ne savons pas nous retrouver. Au mois de décembre, vous avez une sécheresse. Au mois de janvier, il y a aussi un temps de sécheresse. Il y a vraiment une perturbation que la population ne sait pas comprendre », explique-t-il.
Plus loin, à 35 km dans la cité de Wikong dans le Kasaï-Oriental voisin, Billozer Mutombw dresse le même constat. Le grand défi, selon lui, est que « les pluies deviennent rares. Il fait très chaud aussi. Réellement quand on parle de réchauffement climatique, même chez nous, nous sentons ça », assure-t-il. Il faudrait, pour cet homme, reboiser la région. Et c’est tout un autre défi. Cette région n’attire pas l’attention des dirigeants, par ses seules perspectives agricoles. En plus, elle reste éloignée des centres urbains et industriels du pays.
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Mauvaises récoltes, exode rural vers Kolwezi
La cité de Kalamba est le deuxième grand centre rural du territoire de Kapanga, situé à plus de 1200 km de Lubumbashi, l’ancienne capitale du Katanga, plus au sud de la RDC. Emmanuel Mwamba, la trentaine, est une exception dans ce milieu que plusieurs fuient. Il y est revenu, après ses études à l’université de Lubumbashi. Il connaît la région pour y avoir grandi. « Vous allez voir bientôt une forêt qui a disparu : « dit da Kalamb » [la forêt de Kalamb, Ndlr] », explique-t-il en langue locale, le Uruund (rund ou lunda). Après avoir garé sa moto dans la périphérie ouest de la cité, il nous mène à travers un sentier parmi des herbes grisonnantes. Tout a disparu, coupé, brûlé, et les champs sont abandonnés. Puisque le sol ne produit plus comme avant.
À l’opposé de ce site, la forêt de Mbangam plus à l’est, a subi le même sort. En 2008, elle tenait encore malgré une invasion qui avait commencé tout doucement. Plus loin, à 9 km de Kalamba plus à l’Est encore, à Chiying, l’autre grand massif a été vaincu. La forêt de Mushind (dit da Mushind). Autrefois imposante, large de 3 km et plus longue, elle tenait tel un bouclier.
« C’est grâce à la forêt que nous sommes en train de vivre ». (…) Nous préférons « les forêts, parce qu’elles donnent de bons rendements pour le maïs, les haricots, les pommes de terre, les oignons. Et les productions sont bonnes en forêts », explique Mwamb Kabway, un paysan trouvé en train de couper des arbres dans une clairière. Mais son travail reste très pénible, d’une exécution toujours manuelle. « J’ai subi beaucoup de souffrances. J’ai subi des hernies, des crises d’estomac, les hémorroïdes à cause de l’abattage d’arbres », explique-t-il.
Trouvée dans son champ envahi par des arbustes et les herbes, Kasong, la cinquantaine, est toute triste. « Nos récoltes de maïs ne sont plus bonnes. C’est très difficile de se nourrir. Nous ne savons pas trouver les moyens pour payer la scolarité de nos enfants. Nous avons semé, mais la pluie n’a pas été suffisante », se plaint cette mère en rangeant les épis de maïs dans un panier.
La pénibilité du travail manuel décourage certains paysans qui n’osent pas s’engager dans la coupe de forêts. S’il y avait moyen de mécaniser l’agriculture et de bénéficier des engrais, ils auraient pu se contenter des savanes et conserver les forêts, estime Alexis Chibang Muland, le chef de groupement Chiying dont dépend la cité de Kalamba. « Les gens dorment dehors, dans leurs champs, pour cultiver », et les moyens de transport et les routes ne sont pas faciles, dit-il.
De Wikong à Kalamba, la poussée de déforestation
Véritable moteur de déforestation, les cultures commerciales intenses ont commencé du Kasaï voisin. La cité de Wikong, à 30 km de Kalamba dans le Kasaï-Oriental plus au nord, a connu une transformation basée sur l’agriculture. Une bonne partie de celle-ci reposant sur la déforestation. C’est ainsi que cette ancienne mission catholique de « Tubeya » a pris le visage d’une ville.
Ce modèle de développement a inspiré d’autres contrées comme Kalamba où les habitants rivalisent des constructions en matériaux durables et biens de valeurs comme vélos et motos. Il s’ensuit que la course aux terres forestières attise des conflits fonciers. En 2010, un conflit meurtrier a opposé les localités de Mwandj et de Mbangam, à la limite entre le Katanga et le Kasaï-Oriental. Les autorités de deux provinces ont dû intervenir pour calmer une crise qui avait couvé durant environ une décennie.
A ce jour, ce conflit est tabou et n’est plus actif. Son évocation irrite le chef Mwin Mwandj, dans sa cour, au milieu de son village. Il préfère rappeler que le calme règne, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’administration territoriale à Kapanga. A Wikong, par ailleurs, la question gêne tout autant. Les conflits fonciers opposant les clans ou les ethnies sont les seuls à redouter, considère Billozer Mutombw. Mais rien n’indique, à ce jour, que les régions vers lesquelles se dirige la ruée vers les forêts encore intactes, au-delà de 35 km Kalamba dans la direction de Musumba et Sandoa, ne feront pas l’objet de tels conflits.
Les sols des savanes ne produisent plus assez
La pression sur les forêts de la région vient de mauvaises récoltes que donnent les sols de savanes herbeuses. D’après les témoignages concordants des paysans, les récoltes sont passées sous la barre de 300 seaux de graines de maïs (environ 400 kg) à l’hectare. « Nous coupons les forêts, car les savanes ne produisent plus assez. Il est ainsi difficile de payer la scolarité des enfants. Dans une forêt, il est possible de produire 300, 500 seaux de maïs, nécessaires pour assurer la scolarité des enfants », explique Mukaleng Munung, chef du village Kasar.
Dans les savanes, les cultures courantes concernent le manioc et les arachides. Il faut en plus deux ans pour récolter le manioc. L’agriculture extensive sur brulis épuise rapidement les nouvelles savanes autorisées à l’exploitation. Bien plus, en vue de fructifier les sols, il faut au moins deux à quatre ans d’attente pour revenir sur les terres mises en jachère. Dans tous les cas, la production commerciale des céréales et du manioc exige davantage d’espaces culturaux.
Les engrais chimiques, quant à eux, restent hors de portée de plusieurs paysans. Le gouvernement provincial du Lualaba, établi à plus de 700 km plus loin à Kolwezi, a initié la distribution des engrais. En contrepartie, chaque paysan devait rembourser une partie de récoltes de maïs. Mais les voies d’évacuation se détériorent. « Jusqu’aujourd’hui, le maïs stocké pour le remboursement de la province moisit là-bas, explique David Ngongo Mutombo, administrateur adjoint de Kapanga chargé de la politique et de l’administration. Si l’Etat lui-même n’a pas la possibilité d’évacuer le maïs de remboursement, qu’adviendrait-il aux paysans ? »
Il n’empêche que, pour ce responsable de l’administration locale, l’usage d’engrais chimiques devrait améliorer les récoltes. En plus, les demandes de forêts devraient baisser sensiblement.
Région enclavée, une administration forestière inexistante
Kalamba est très enclavé. Son éloignement de la capitale du Lualaba l’ouvre davantage au Kasaï. Les voies de communication se détériorent depuis plusieurs décennies. Et le vélo est devenu le principal moyen d’évacuation des produits agricoles.
Sur le plan administratif, les chefs traditionnels seuls décident de l’autorisation ou non d’exploiter les forêts. Ils n’ont cependant pas de moyens pour organiser la restauration des écosystèmes dégradés. Ils ne peuvent pas non plus gérer les conflits violents, à l’instar de celui de Mwandj en 2010.
L’administrateur du territoire est le chef de l’administration publique dans la région. Lui non plus ne peut organiser la restauration, ni davantage se déplacer à travers les contrées de sa juridiction. C’est à cause de la détérioration des routes. Ses actions se limitent alors à « des campagnes de sensibilisation avec des agronomes, des chefs coutumiers et les autorités locales pour empêcher de couper les arbres », selon David Ngongo Mutombu. Il ne peut, en plus, proposer d’alternatives à la déforestation. Autrement dit, la déforestation va se poursuivre sans assurance de s’arrêter de sitôt. Ce fonctionnaire public pense, néanmoins, qu’« Une fois la route est arrangée, les véhicules peuvent arriver facilement et la population qui cherche à produire davantage peut profiter des engrais qui sont distribués depuis 3 ans ».
Forêts sacrées, dernier salut des forêts locales ?
Dans ce contexte presque désespéré pour la protection forestière, la région de Kalamba peut pourtant compter sur un atout local. Les coutumes à partir desquelles s’organise la veille forestière par des chefs traditionnels. Dans « Chind cha Sakabwang », une forêt sacrée de Kasar par exemple, personne n’a le droit de couper un seul arbre. C’est le cas dans toute la contrée. Alors que même les mammifères et rongeurs de la savane disparaissent du fait de la destruction de leur habitat et d’une chasse intempestive, les espèces fauniques qui survivent ne tiennent que grâce à ce genre de massifs forestiers. Plusieurs villages de la région en ont. Ce mode de protection par la tradition ou la coutume, et peut bien inspirer des actions écologiques.
D’après le site Global forest watch, le territoire de Kapanga a perdu 3.95Kha soit 4.4% de forêts primaires humides. Cela représente 13% des pertes de son couvert forestier. En termes de couvert végétal, le territoire a perdu au cours de la même période 31.3Kha, ce qui équivaut à 10.8Mt d’émission de CO2. En 2018, la forêt primaire tropicale congolaise a reculé comme nulle part ailleurs au monde (481.248 hectares, soit 4.812 km2), à part au Brésil. Mais bien souvent, les forêts des régions éloignées comme celles des régions de Kalamba ou de Wikong ne bénéficient pas de l’attention des pouvoirs publics et des organisations non-gouvernementales. Autant que les grands massifs tropicaux du Maniema, de l’Equateur ou encore de l’Ituri.
Ces forêts, pourtant, jouent un rôle majeur dans la régulation du climat. Mais joue aussi un rôle dans le maintien de la vie des millions des paysans à travers le pays.