RDC: qu’avons-nous fait de nos belles années d’indépendance?
Dans la folie des réjouissances qui marquèrent la journée historique du 30 juin 1960, les plus nostalgiques des Congolais, déçus par les rivalités d’une classe politique moins expérimentée, commencèrent à évoquer les souvenirs du passé avec un brin de tristesse : « du temps des Belges, on vivait mieux !… Et sans trop des tracasseries ». Ce genre de refrain, on l’entend encore de nos jours. Il est inoxydable, comme les notes d’indépendance chacha, la chanson que les générations se passent à la manière des spécialistes de relais.
En 1960, images à l’appui, la commémoration de l’indépendance fut un moment sans pareil. Aujourd’hui encore on essaie, tant bien que mal, de maintenir la parade. Il en sera de même pour les années à venir et personne ne pourra y changer. La fête nationale reste et restera un moment très fort solennel. L’indépendance chèrement acquise, pourquoi avons-nous honte de rappeler l’épopée coloniale ? Disons-le tout net : l’aventure initiée au cœur de l’Afrique par le roi Léopold II s’était révélée concluante dans bien des secteurs. Dans leurs discours, nos dirigeants, à l’exception de Joseph Kasavubu, oublient de saluer l’effort de la métropole dans la construction du Congo Belge, modèle exceptionnel d’une Afrique qui sortait des ténèbres. Nous avons honte de dire que les maladies qui décimaient des populations entières furent endiguées par les agents sanitaires belges, qui y laissèrent parfois leur peau.
De même, nous avons honte de dire que c’est au prix de mille efforts que les voies de communication furent tracées, facilitant ainsi la circulation des personnes et l’évacuation des produits de première nécessité. Nous avons toujours honte de dire que c’est grâce à l’industrie extractive que s’accéléra la construction des cités modernes des écoles, ainsi que des hôpitaux. Nous avons honte de dire que les paysans de la période coloniale étaient incontournables dans le système de production. Nous avons certainement honte de dire que ces braves gens de la brousse parvenaient à payer les études de leurs enfants, partis pour la ville. Nous avons honte de dire que la poste, État dans l’État, assurait une meilleure distribution des colis et des lettres aux quatre coins du pays, et que c’est avec les recettes des postes et télécommunications que l’on payait les fonctionnaires prestant au Rwanda et au Burundi. À cette époque-là, le téléphone cellulaire n’existait pas, mais les communications ne souffraient d’aucune insuffisance. Nous avons honte de dire que les vieux quartiers érigés sous la férule des topographes en culottes kaki sont mieux bâties par rapport aux nouvelles cités occupées par les nouveaux riches ! Nous avons honte de dire qu’il existait une banque de l’habitat (fonds d’avance) qui construisait des maisons pour les plus démunis. Et à crédit.
Nous avons honte de dire que l’administration publique était un corps d’élite, les promotions s’effectuaient en tenant compte du meilleur rendement, d’un comportement au-dessus de tout reproche. La société d’alors n’était pas gangrénée par la corruption et tout ce qui va avec : clientélisme, gabegie, tribalisme, harcèlement sexuel, etc. Nous avons honte de dire que l’église était vraiment une institution au milieu du village et au cœur du développement. Cette église avait contribué à l’émergence d’une nouvelle morale positive au travers du mouvement scout. Nous avons honte de dire que les produits « made in Congo » conformes au standard le plus strict étaient consommés et réclamés avec insistance aux quatre coins du monde.
Nous avons honte de dire que les trains de la Compagnie des chemins de fer du Bas-Congo au Katanga roulaient à plus de 40Km/h et que les produits agricoles ne pourrissaient pas dans les greniers. Nous avons honte de dire que le Canada ainsi que la région de l’Asie n’apparaissaient pas au tableau des pays qui montaient alors au même titre que certains pays d’Europe. Les exemples abondent, mais nous avons honte de dire ce qui avait fait l’honneur et la grandeur du Congo Belge. La période coloniale (1908-1960) et l’indépendance, dont le pay celebre le 58 ème anniversaire, méritent d’être passées au peigne fin, si nous voulons que l’histoire ne soit pas falsifiée. En cinquante et deux ans d’aventure coloniale, la Belgique a fait mieux que la RDC sur le même parcours. Elle a réussi à innover sur une « terra incognita », où il n’y avait, ni routes, ni pistes d’aviation, ni école… Nous avons honte de le dire.
La RDC qui, au 30 juin 1960, hérita d’un patrimoine enviable, n’a jamais atteint le ¼ de l’actif qui a figuré au bilan colonial. Dans leurs discours, nos dirigeants évitent d’évoquer cet échec. Dans la joie de l’indépendance, acquise dans la douleur et au terme d’une lutte acharnée, certains de nos hommes politiques (Moise Tshombe, Joseph désiré Mobutu) avaient maintes fois remis sur la table le « contentieux, belge-congolais » pour réclamer au gouvernement belge la restitution du gâteau national estimé à 40 millions de francs. Guerres des nerfs et gels des relations diplomatiques s’ensuivirent parce que la Belgique ne voulait pas céder les parts du Congo qu’elle détenait chez elle et sur ce chapitre, n’ayons, pas honte de dire que la métropole n’avait pas joué franc-jeu. En 1960, les Belges ont quitté le Congo, à contre cœur, et non sans avoir mis le feu à la maison et vider les caisses.
Sans froid aux yeux, abordons une question centrale. Si la Belgique avait restitué le coffre-fort à nos dirigeants, le pays allait-il connaître un envol décisif ? Je doute fort. Après l’indépendance, le Congo qui a connu une période rose avec les ventes de ses immenses richesses du sous-sol, n’a pas réussi à entretenir les infrastructures de l’époque coloniale, à envisager le développement durable. Cependant, ce sont les éléphants blancs qu’on a vus naître et puis disparaître, sans apporter un peu de joie aux communautés locales, toujours abandonnées à leur triste sort. Les Belges qui ont réalisé des travaux herculéens aux quatre coins du Congo étaient –ils plus magiciens que les enfants du terroir ? Rien de tous cela ; les « Nokos », comme on a coutume d’appeler les gens du plat pays, étaient de travailleurs infatigable dotés d’imagination créatrice. En plus, ils avaient instauré une administration de proximité pour un meilleur suivi de la politique du développement. Pourquoi avons-nous honte de dire tout cela du haut des tribunes érigées pour célébrer la fête nationale et à haute voix ?