RDC – Turquie : comment éviter les erreurs du passé(Ebuteli)

RDC – Turquie : comment éviter les erreurs du passé(Ebuteli)

Au moment où la révision des contrats chinois est à l’ordre du jour, la Turquie
se présente aux portes de la RDC pour une coopération bilatérale. Celle-ci
sera-t-elle (enfin) un partenariat gagnant-gagnant ?
Après celle avec la Chine, voici une nouvelle coopération présentée comme «
gagnant-gagnant ». Fin février, Recep Tayyip Erdogan, président turc, a séjourné à
Kinshasa pour conclure sept accords de coopération entre son pays et la RDC dans
plusieurs domaines, notamment la sécurité, la santé, les infrastructures et les
transports. Les jalons de cette coopération ont été jetés deux mois plus tôt, à Istanbul,
lors du troisième sommet de partenariat Turquie – Afrique co-présidé par Félix
Tshisekedi, alors président en exercice de l’Union africaine.
Au cours de ces dernières décennies, la Turquie a réalisé des progrès économiques
remarquables. En 2020, ce pays était considéré comme la 19e puissance économique
mondiale, avec un produit intérieur brut estimé à 717 milliards de dollars américains.
Ce succès turc repose, dans une large mesure, sur deux secteurs clefs : les services et
l’industrie dont l’apport à la richesse nationale représentait respectivement 61,4 et 31,2
% en 2020.

Dans le contexte actuel de la mondialisation, la Turquie a besoin de nouveaux
débouchés pour assurer son développement économique. À l’instar de la Chine, la
Turquie manifeste un intérêt grandissant pour le continent africain. Cela se manifestait
déjà depuis la fin des années 90 avec l’expansion des ambassades turques pour
accompagner le développement des relations économiques avec de nombreux États
de l’Afrique subsaharienne réputés riches en ressources naturelles.

Quel partenariat entre la Turquie et l’Afrique ?

À l’ordre du jour du « partenariat Turquie-Afrique » annoncé en 2013, Ankara promet
toujours de mobiliser ses ressources, ses hommes d’affaires ou investisseurs afin de
contribuer au développement socio-économique des États africains et à leur stabilité.
Officiellement, cela passerait notamment par une coopération militaire pour
contribuer à mettre fin aux conflits armés.
Au début de ce partenariat, la Turquie a ciblé le Soudan, le Sénégal, la Somalie, la
Mauritanie et le Mali. D’autres pays, à l’instar de l’Éthiopie, le Togo et la Centrafrique,
sont devenus par la suite des partenaires non négligeables. Au cœur de cette
coopération turco-africaine, des domaines divers : tourisme, sécurité, infrastructures
de transport (ports, aéroports), transport aérien, commerce maritime, agriculture,
bâtiments publics, secteur militaro-industriel. Et des perspectives d’extension et
d’accroissement des échanges commerciaux de la Turquie avec l’Afrique demeurent
prometteuses. Estimés à environ 3 milliards de dollars américains en 2003, ils avaient
atteint 20 milliards de dollars en 2017.
Mais, de tous ces pays africains partenaires de la Turquie, aucun ne dispose de
ressources naturelles comme la RDC. Il était donc prévisible d’assister à un
rapprochement entre ces deux pays dans un futur proche. Aujourd’hui, tout semble se
concrétiser à la suite de la signature des nouveaux accords de coopération.

RDC et Turquie, enfin une relation « gagnant-gagnant » ?

Les premiers pas de ce rapprochement remontent sous le règne de Joseph Kabila. En
2010, Abdullah Gül, alors président turc, effectue une visite à Kinshasa avec 200
hommes d’affaires turcs. Ces derniers affichent à l’époque des ambitions de s’installer
au Congo pour investir dans l’agro-alimentaire, la construction ou l’immobilier. C’est
d’ailleurs à cette occasion qu’a lieu le premier forum entre les opérateurs économiques
congolais et turcs. Sur le plan politique, un mémorandum d’entente est signé par les
ministres des Affaires étrangères des deux États en vue de baliser leur coopération
bilatérale.
Mais, jusqu’à la fin du mandat de Kabila, les hommes d’affaires turcs n’ont pas tenu
leurs promesses. Est-ce parce que le précédent régime politique congolais n’aurait
manifesté que très peu d’attention vis-à-vis de la Turquie, privilégiant sa coopération
beaucoup plus importante avec la Chine ? Pékin devait en effet accorder un prêt de
plus de 6 milliards de dollars américains à la RDC répartis comme suit : 3,2 milliards
pour le compte de la Sicomines, une joint-venture sino-congolaise contre 3 milliards
de dollars américains destinés surtout au financement des infrastructures de base.
Finalement, cette coopération entre la Chine et la RDC, présentée au début comme
une alternative à celle avec l’Occident, n’a pas donné aux citoyens congolais ce qu’ils
espéraient.

Les partenariats public-privé se soldent toujours par un échec

La révision des « contrats chinois » est désormais à l’ordre du jour.
Au même moment, le rapprochement avec la Turquie s’amorce. Félix Tshisekedi,
successeur de Kabila à la tête du pays, n’hésite pas à parler d’une nouvelle coopération
« gagnant-gagnant » entre les deux pays. Cette formule est loin d’être nouvelle au
Congo. Mais, les récentes évolutions de la coopération de la RDC avec les hommes
d’affaires ou les États étrangers ne l’ont jamais confirmée. Souvenez-vous des «
contrats chinois » évoqués ci-haut, mais aussi du projet du parc agro-industriel de
Bukanga Lonzo, voire du « programme d’urgence pour les 100 premiers jours du chef
de l’État ».
En fait, le partenariat public-privé en RDC se solde souvent par des échecs à cause
surtout de la persistance d’une corruption à grande échelle pratiquée par l’élite
politique et les hauts fonctionnaires. Ce sont ces derniers qui sont au cœur non
seulement du dispositif des négociations des conventions ou contrats, mais aussi de
leur application. À l’intérieur et à l’extérieur du pays, différents partenaires de l’État
congolais, surtout dans le secteur privé, continuent à lui reprocher de ne pas respecter
ses engagements.

Comment ne pas retomber dans les erreurs du passé

Est-il possible de mieux faire dans le cadre des nouveaux accords de coopération avec
la Turquie ? Il serait révolu l’heure des « signatures qui ne donnent pas de résultats », a
laissé entendre Chérubin Okende lors de l’émission Dialogue entre Congolais sur la
radio Okapi, au lendemain de la conclusion de sept accords fin février entre la RDC et
la Turquie. Pour le ministre des Transports, dont le secteur est concernée par cette
coopération, le pays se doit désormais de « mettre tout le sérieux [dans la mise en
application de cette coopération] pour aboutir à des accords qui ne soient bénéfiques
au peuple congolais », soulignant l’importance de la diversification des partenaires et
de la bonne gouvernance pour que les Congolais s’y retrouvent.
Ainsi, pour éviter les erreurs du passé, le bon choix des négociateurs est indispensable.
D’autant que le monopole de la présidence de la République dans ce type de
négociations a montré ses limites. Il s’agit en effet de l’une des institutions où
beaucoup de scandales financiers sont décriés. La même critique vaut également pour
les ministères impliqués dans les négociations. L’État congolais a donc intérêt à
recourir également aux négociateurs des cabinets privés ayant fait leurs preuves dans le
domaine. Cette option permettrait de limiter la corruption des acteurs étatiques dans
les négociations.

La transparence avant tout

Un accent doit également être mis sur la transparence. Depuis la signature de ces
accords fin février, rien n’a filtré sur le contenu des accords, les conditions qui les
entourent, les échéances de leur mise en œuvre. Il est pourtant important que les
citoyens en soient pleinement informés. Le débat au Parlement autour de leurs
éventuelles ratifications doit permettre à tout le monde de tirer ses conclusions sur le
caractère « gagnant-gagnant », ou non, de cette nouvelle coopération avec la Turquie.
L’État congolais doit veiller par ailleurs à la sélection des sociétés turques crédibles et
compétitives pour opérer en RDC. Ce qui implique un choix fondé sur l’expérience,
les garanties financières et la transparence. Il doit s’agir des sociétés qui publient
régulièrement leurs états financiers de synthèse audités par un cabinet privé
indépendant. On ne doit pas non plus perdre de vue que la RDC a intérêt à assainir la
gestion de ses entreprises publiques. Certaines d’entre elles seront impliquées dans
différents projets promis par la Turquie. De ce point de vue, la privatisation de leur
gestion pourrait les mettre à l’abri des pressions que subissent les membres des
comités de gestion désignés sur base des arrangements politiques.
Les tractations en cours doivent enfin déboucher aussi sur le choix judicieux des
entrepreneurs nationaux et des sociétés privées congolaises capables d’entretenir des
bonnes relations d’affaires avec les investisseurs turcs. Ces derniers auront en effet
besoin de travailler avec des opérateurs économiques congolais compétitifs. C’est
pourquoi les actionnaires doivent être clairement identifiés pour éviter le risque que
présentent les entrepreneurs politiques en RDC : la corruption, le détournement ou le
blanchiment des capitaux.