RDC : ces enfants qui écument les mines du Katanga
Combien sont-ils ? Sans doute des milliers. Ces enfants mineurs creusent, lavent, trient et transportent les minerais qui font la richesse du Lualaba et du Haut-Katanga. Au vu et au su de tous, souvent avec la complicité de leurs parents, et pas qu’eux. Les autorités comme les compagnies minières ferment les yeux sur cette exploitation pourtant interdite. L’enquete d’Anto Mulanga.
Les routes rouges qui serpentent dans le quartier Kasulo à Kolwezi (province du Lualaba) sont incertaines, boueuses, et bondées de trous profonds qui s’enfoncent dans la terre. Les automobilistes, motards et piétons qui fréquentent ces routes défoncées sont occupés à surveiller les trous quand parfois, soudain, émergent des visages infantiles. Ce ne sont ni des élèves sur le chemin de l’école, ni des marcheurs pour le plaisir. Ce sont des travailleurs.
C’est le cas de Micka et Héritier, deux enfants aux traits innocents, pieds nus, que nous croisons dans la carrière minière de Kasulo. Le geste vif et précis, ils ramassent des résidus de cobalt et d’autres déchets pour les vendre auprès des négociants congolais. « Je m’appelle Héritier Ilunga, dit le premier, je vis ici au quartier Kasulo avec mes parents. Je viens régulièrement travailler sur les mines de cobalt. Je ramasse les résidus (Ndlr, la terre que les creuseurs considèrent comme des déchets du cobalt). Après, nous mettons cela dans des sacs et nous allons les vendre auprès des négociants ».
Issu d’une famille pauvre, Héritier a un frère et vit chez sa tante. Son père travaille dans cette même carrière de cobalt et sa mère vend des légumes au marché. « Cette année, mon père n’a pas pu m’inscrire à l’école faute d’argent. Mais l’année passée j’étudiais à l’école primaire BIKIRA en 3ème année primaire », précise-t-il les yeux rivés sur ces pieds qui traînent dans la poussière.
Kasulo est une carrière qui s’est créée en plein quartier résidentiel de Kolwezi depuis qu’un habitant a trouvé en 2014 du cobalt par hasard, en creusant une fosse septique dans sa parcelle. Très vite, l’entreprise minière Congo Dongfang Mining (CDM) en a acquis les droits d’exploitation.
«A Kasulo on creuse même dans les parcelles résidentielles », explique Auguste Mutombo de l’ONG Alternative Plus. « Ce qui fait que près de quatre enfants sur dix, âgés de 5 à 14 ans, travaillent dans ces mines à ciel ouvert ».
En pleine carrière nous rencontrons une dizaine d’enfants occupés à travailler. Les adultes ne sont pas loin. Ils creusent des puits pouvant aller jusqu’à 40 mètres de profondeur avant d’atteindre les couches de terre où se trouvent le cobalt. Grâce à leur petite taille, les enfants descendent plus facilement dans ces puits. Leur tâche principale consiste à porter depuis un pilier (une sorte de branche auquel ils s’accrochent pour remonter les sacs du puit) les sacs de terre pour les tamiser dans des mares d’eau à la recherche du cobalt.
« Les sacs qu’ils transportent sont trop lourds pour eux et peuvent causer des dommages à leurs colonnes vertébrales en pleine croissance», souligne Auguste qui nous accompagne dans cette carrière.
Un peu plus loin sur un autre puit d’où l’on extrait la terre, nous rencontrons Dany, 14 ans. Dany a arrêté d’aller à l’école et a commencé à travailler il y a cinq ans parce qu’il n’avait personne pour payer ses frais de scolarité. Un argument difficile à soutenir aujourd’hui que la gratuité de l’enseignement de base est appliquée dans la plupart des écoles publiques. Dany a le profil type des enfants des mines : la plupart ont entre 5 et 17 ans et travaillent soit pour compléter le revenu familial, soit pour soutenir le foyer placé sous leur responsabilité.
Une main d’œuvre moins couteuse
A côté de ce puit nous trouvons deux autres enfants assis sur le comptoir d’un négociant chinois. Le bleu du cobalt posé sur la table contraste vivement avec la couleur de leurs paumes de main, noircies par la terre qu’ils ont tamisée toute la journée. Des coopératives achètent-elles ce minerai produit par des enfants? Theodore Shambuyi, creuseur de Kolwezi, indique que des personnes physiques créent avant tout des coopératives minières, puis se mettent à la quête des espaces pour exploiter le cuivre et le cobalt. C’est ainsi que plusieurs enfants affluent dans ces concessions minières privées pour y chercher des minerais. A l’instar du site minier de Kimbalashani dans la concession de l’entreprise BOSS Mining à Kakanda, dans la périphérie de Kolwezi.
‘’Un citoyen chinois s’est installé sur ce site avec sa petite entreprise dénommée COMIBAT, témoigne John, creuseur habitant de Kakanda. Il a chassé tous les creuseurs artisanaux adultes. Il exploite du cuivre avec des enfants parce que ces derniers acceptent d’être payés moins cher. Cet exploitant étranger est soutenu par un député provincial proche du gouvernement provincial, alors que cette exploitation se fait sur un site illégal et avec des enfants ’’.
Selon le site du cadastre minier, la ville de Kolwezi n’a pas enregistré de nouveaux investisseurs dans le domaine de l’exploitation industrielle. La plupart de ces compagnies sont déjà au stade de la production du cuivre et du cobalt. Mais les lignes bougent essentiellement du côté du secteur minier artisanal où l’on remarque la présence des enfants.
Y aurait-il une responsabilité des autorités ? Ou s’agit-il de l’exploitation de la main d’œuvre infantile par des Congolais et des expatriés qui cherchent à rentabiliser au mieux leur investissement ?
Revenons au cas d’Héritier. Avec son ami Micka, ils travaillent dès 8 heures du matin pour gagner 4000 voire 5000 Francs congolais l’équivalent de 2,5 dollars. Parfois, c’est même moins de 2000 francs congolais, moins d’un dollar. « Nous débutons le travail vers 8h, des fois à 10h, souffle Héritier. Nous avons une vieille boite à bonbons comme unité de mesure. Elle fait environ 1 Kg, on nous en donne mille francs. Les meilleurs jours, nous pouvons gagner entre quatre et cinq mille francs ».
Des experts estiment que l’utilisation de la main d’œuvre infantile dans l’exploitation artisanale du cobalt freine le processus de formalisation du secteur artisanal. Jean-Claude Katende de la coalition « Publiez ce que vous payez » juge qu’« Il y a beaucoup de conflits d’intérêt et de légèreté. Les creuseurs artisanaux y compris les enfants ne tirent pas profit de leur travail ».
Des responsabilités partagées
Pour les parents, ce calvaire porte un nom : la réalité économique. « Les parents ne font pas travailler leurs enfants de gaîté de cœur, raconte Eustache Sangwa qui transporte des sacs de braise sur son vélo. Bien souvent, ils sont forcés à le faire, à cause de la pauvreté».
La situation de Jonathan illustre parfaitement cette réalité. Il habite Bungu-Bungu dans la province du Haut-Katanga avec sa grand-mère, qui a environ 70 ans. Il souhaite retourner à l’école malgré le fait que les moyens financiers ne le lui permettant pas pour l’instant. Il a 10 ans et travaille depuis près de trois ans, sur le site minier artisanal de Kampompi.
Kampompi est une carrière exploitée par des creuseurs artisanaux regroupés dans deux coopératives reconnues par le Service d’Assistance et d’Encadrement de l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite Echelle, (S.A.E.M.A.P.E.).
Jonathan habite à 5 km de la carrière. Lorsque nous le rencontrons, Jonathan semble faible, dans son corps si fragile. Il transpire toutes les minutes. Il est si jeune pour ce travail. Il vit dans la peur, celle du lendemain et celle de perdre sa grand-mère. Ayant déjà fait plus de deux ans dans ce site minier et sans compter les autres risques auxquels Jonathan s’expose, il nous redit qu’il est tombé malade plus d’une fois.
« Je n’ai pas de choix ; je n’ai ni père, ni mère, dit-il d’un air désespéré. J’ai déjà fini mes études primaires, mais je n’ai pas les moyens d’aller au secondaire. Si les études primaires sont gratuites, ce n’est pas le cas avec les études secondaires. Et même si c’était le cas, je ne pense pas que je pourrai avoir tous les accessoires qu’il faut à un élève normal ».
Pour sa part, Guylain Kalwa coordonateur du cadre de concertation de la société civile du Haut-Katanga, estime qu’il faut aller au-delà de la simple volonté politique, et prendre des mesures pour traiter le fond du problème. «Tous les parents qui font travailler leurs enfants, ce n’est pas de gaité de cœur, mais peut-être qu’ils sont forcés à le faire. Tout simplement parce qu’il y a la pauvreté des familles à la base. Et donc, il va falloir que l’Etat trouve des alternatives faisables à la fois pour les familles et pour les enfants. »
Quand les politiques s’impliquent
Emmanuel Umpula, un responsable de l’ONG AFREWATCH et membre de la coalition ‘’Le Congo n’est pas à vendre ‘’ fait observer que l’exploitation des enfants dans les mines artisanales impliquent des autorités tant provinciales que nationales. Il prend pour exemple les contrats d’achat de minerais que la province du Lualaba signe avec des comptoirs d’achat de minerais dont les propriétaires sont soit des Chinois, soit des Indiens soit encore des Indopakistanais. En outre, ces acheteurs vont jusqu’à s’installer dans les carrières artisanales et y font travailler des enfants en violation de la loi. « Cela passe inaperçu car ils sont couverts par les autorités en province », déplore-t-il.
Les responsables des coopératives minières, légalement établies pour leur part, se disent impuissants devant cette situation. Selon eux, des autorités politiques leur imposent ces étrangers comme acheteurs et à leur tour, ils préfèrent cette main d’œuvre infantile qui coûte moins cher. Si la coopérative refuse, elle se voit ravir le site d’exploitation.
exploitants industriels et Il y a deux ans, le gouvernement provincial du Lualaba avait mené une opération de destruction de tous les comptoirs d’achat des minerais installés illégalement sur la route Lubumbashi-Kolwezi. Cette décision visait à mettre fin au travail des enfants dans les mines et aux conflits entre les les artisanaux. Car les grandes entreprises accusaient les mineurs artisanaux d’utiliser les enfants dans l’exploitation illicite de leurs sites miniers et d’approvisionner ces comptoirs. Malheureusement, ces comptoirs d’achat de minerais refont surface. Des dizaines de dépôts d’achat des minerais ont rouverts, et ils sont souvent détenus par les chinois et les indopakistanais, qui achètent parfois des minerais auprès des enfants.
Un défi
La présence des enfants dans les mines de cobalt reste un défi. D’après Jean-Claude Katende, de la coalition « Publiez ce que vous payez », cela s’explique par l’inaction de l’Etat qui voit dans la débrouillardise un moyen de se tirer d’affaire.
Pour lutter contre ce phénomène, le ministère provincial des Mines du Lualaba prétend avoir exigé une coordination des actions des partenaires impliqués dans cette lutte. Mais cela reste encore un défi à relever. Eric Tshisola, directeur du cabinet du ministre provincial des Mines, estime qu’il y a déjà quelques résultats. « Nous avons reçu des enfants sortis des mines, avance-t-il. Certains sont devenus des soudeurs, d’autres ont été ramenés à l’école. Mais, ce n’est pas suffisant, car c’est un cycle. Pendant que vous retirez les uns des mines, d’autres arrivent… »
Combien sont-ils ? Difficile de déterminer leur nombre exact, précise une source de l’ONG Centre Carter, notamment parce que plusieurs coopératives employant des enfants fonctionnent sans papiers, dans la plus parfaite illégalité.
En 2014, une étude de l’Unicef (Fonds des Nations Unies pour l’enfance), estimait à 40.000 le nombre d’enfants présents dans les mines des provinces du Lualaba et du Haut-Katanga. Impossible aujourd’hui d’être plus précis, faute de registre des creuseurs tenus à jour.
Des actions non coordonnées
Pour autant, l’Etat ne reste pas les bras ballants. Des engagements ont été annoncés par le gouvernement congolais au cours des dernières années. En 2017, la RDC a renouvelé son engagement à éliminer le travail des enfants dans le mine, avec comme échéance 2025. Reste à voir des résultats concluants sur le terrain, car les signes d’amélioration sont rares.
Louis Tshota, l’administrateur du territoire du Kipushi, affirme ne pas disposer des moyens pour faire sortir les enfants des mines. « On dénombre neuf carrières de minerai riche en cuivre et cobalt dans ma juridiction, détaille-t-il. Or, plusieurs familles, papas, mamans et enfants à la recherche de survie, les exploitent d’une manière artisanale à longueur de journée ».
Des ONG locales contredisent ce constat. Elles affirment avoir sorti au cours de l’année 2021 cinq cent enfants dans les mines de Kipushi avec l’appui des organisations internationales. Nénette Mwange de l’Association des Femmes pour le Développement Communautaire (AFMDECO) estime que la plupart des initiatives du gouvernement s’exécutent en ordre dispersé. Parfois sans consulter les organisations locales qui sont sur le terrain avec des données fiables. « Des projets pour sortir les enfants dans les mines sont souvent une affaire de gros sous, dit-elle d’un ton nerveux. Ce qui fait qu’il y a toujours des personnes qui influencent l’exécution de projet sur terrain. Parfois on crée des ONG fantômes juste pour justifier les dépenses alors que sur le terrain les ONG spécialisées n’ont rien ».
Si le secteur est marqué par l’opacité et la porosité entre les mines industrielles et les mines artisanales, il le doit à l’omniprésence des hommes politiques. «Certaines compagnies achètent du cobalt aux creuseurs et mélangent leur production avec celle des enfants », argumente le militant Jean-Claude Katende. « Cette main d’œuvre infantile ferait vivre au Congo des centaines de politiques et leurs familles ».
Assécher cette source unique de revenu aboutirait à une véritable catastrophe économique. Pour y remédier, le Projet d’Appui au Bien-être Alternatif des enfants et jeunes impliqués dans la chaine d’Approvisionnement du Cobalt (PABEA-Cobalt) a été initié par le président de la République à travers le Fond National de Promotion et de Service social (FNPSS). Ce projet bénéficie de l’appui financier du groupe de la Banque africaine de développement(BAD). Il vise zéro enfant dans les sites miniers artisanaux de cobalt et prévoit de réinsérer environ 14.850 enfants filles et garçons, afin d’assurer la reconversion économique d’au moins 6250 ménages. Sans oublier la reconversion des jeunes qui travaillent dans les sites miniers vers l’agro-business.
Le projet est ambitieux, mais des acteurs de la société civile le qualifient déjà de projet fantôme. Lancé en 2019, il doit se clore en 2023. Sur le terrain, les retards s’accumulent. A ce jour, il en est à la phase d’identification des bénéficiaires directs.
« Si l’on s’en tient au chronogramme initial du projet, il reste moins de deux ans pour achever le projet. Sur le terrain rien n’est fait », souligne Jean-Pierre Muteba de la société civile. « Même si les responsables expliquent ce retard par la pandémie à coronavirus survenue en 2020. Aucune infrastructure n’est mise en place : pas d’école construite pour accueillir ces enfants, pas d’espaces arables pour faire de l’agriculture ».
Sur le papier, PABEA-Cobalt serait donc un projet ambitieux. Faux, rétorque Philipe Ngwala, coordinateur de la cellule présidentielle d’Appui au Programme d’Urgence Intégré de Développement Communautaire (CAPUIDC). « Ce projet prévoit la reconversion socio-économique dans l’agrobusiness des parents de ces enfants. Il donne beaucoup d’espoir et d’opportunités économiques et alternatives à travers la promotion des chaînes de valeur agricole intégrant la production, la transformation et la commercialisation ».
« Il va falloir trouver des alternatives faisables à la fois pour les familles et pour les enfants », propose Jean-Pierre Muteba, de la nouvelle dynamique syndicale(NDS), « car ce qui nous est présenté ici n’est pas faisable au regard du temps qui reste ».
Le cadre de concertation de la société civile du Haut-Katanga propose que le gouvernement puisse prendre des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives pour assurer la protection de ces enfants.
Faudra-t-il en passer par la case prison / répression ? En tout cas, depuis 2018, le code minier réprime l’exploitation indue des enfants. Mais visiblement, ce texte de loi est encore peu appliqué…