RDC – Exploitation minière : Graves menaces sur la santé de la reproduction

RDC – Exploitation minière : Graves menaces sur la santé de la reproduction

Entre 2018 et 2023, la production du cobalt en RDC est passée de 104.000 tonnes à 170.000. Soit, une augmentation de 63%, due à l’accélération de l’exploitation de ce minerai stratégique pour la transition énergétique mais nuisible à l’environnement et à la santé de la reproduction. A Musonoï, un quartier de l’Ouest de la ville de Kolwezi, les femmes sont les plus exposées. Des cas d’avortements, de fausses couches et, même, de malformations congénitales y sont de plus en plus fréquents.

Construit sur une colline à moins de 2 kilomètres du centre-ville de Kolwezi, Musonoï surplombe la capitale mondiale du cobalt. Dans ce quartier est implanté, une grande mine à ciel ouvert, de la Compagnie minière de Musonoï, (COMMUS), une filiale du groupe chinois Zijin. Pour y accéder, nous passons par une route en terre, rongée par les eaux de ruissellement.

À moins de 500 mètres de la mine, se trouvent des habitations. Elles sont séparées d’elle par un mur en blocs de ciment, haut d’environ 2 mètres et de plus de 5 kilomètres de longueur. À côté, prés de 40 % de l’ancien quartier Gécamines ont déjà été transformés en mine par la même société. Depuis, les habitants de Musonoï se plaignent de la pollution de l’air et de l’eau.

De l’eau contaminée

Ici, tout semble avoir été pollué. L’eau potable y est devenue rare. Pourtant, pendant de longues années, la communauté de Musonoi se ravitaillait au lac Golf, en aval du quartier. Mais depuis 6 ans, elle s’en méfie, soupçonnant fortement sa pollution. En effet, COMMUS y a installé ses machines de captage d’eau pour le traitement des minerais .

En outre, les exploitants artisanaux y nettoient leurs produits bruts. « Il y a quelques années, on s’approvisionnait en eau du lac. Actuellement, ce n’est plus possible. Dès que tu l’utilises pour le bain, tu as des démangeaisons, se plaint cette  femme rencontrée dans le quartier.

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Des problèmes de santé de la reproduction

Au-delà des infections cutanées, certaines femmes rapportent des cas bien plus graves de santé de la reproduction. ‘’ J’ai connu quatre avortements successifs ces 3 dernières années. Dès que la grossesse atteint trois mois, elle n’évolue plus. Le fœtus meurt et se décompose, explique, d’un ton sec, Angèle, une quadragénaire, voisine à la mine de  COMMUS.

Ce que confirme, en substance, Julie Nshinda, l’infirmière responsable de « La Trinité », officine médicale du quartier. Ainsi, par mois, sa structure reçoit des plaintes liées à la santé de la reproduction de 5 à 10 femmes, soit une centaine de cas par an. « Je reçois beaucoup de cas de menaces d’avortement ainsi que des naissances prématurées. Parfois, les examens cliniques révèlent que certaines douleurs abdominales des femmes enceintes sont dues à des fœtus morts et en décomposition », dit-elle.

Ce n’est pas tout. Elle affirme aussi, image à l’appui, avoir enregistré des cas de malformations congénitales. En date du 27 juillet dernier, par exemple, un bébé, né avec une cervelle sortie du front, n’a pas survécu.

source: Centre de santé la Trinité

Le TSHIK, un autre centre médical, au nord du quartier, rapporte également des cas de santé de la reproduction. Le docteur Billy Mukonk, le promoteur du centre, a recensé 133 patientes reçues entre janvier et juin 2024. Parmi elles, 61 ont connu des avortements.

source: centre de santé Tshik/ La Guardia/ Denise

Les causes

Tantine a été deux fois victime de perte de fœtus en l’espace de 6 mois. Pour elle, ses problèmes ne sont qu’une conséquence directe de son exposition aux activités minières.  »Il faut peut-être aller dans les grands hôpitaux pour des examens de laboratoire et d’échographie approfondis. Mais pour moi, la cause reste l’exposition à l’irradiation dans ce quartier. »

Pour RAID et AFREWATCH, deux organisations de défense des droits humains, l’exploitation minière industrielle du cobalt en RDC a des conséquences sur les communautés riveraines. Une conviction forgée à partir de l’analyse de 22 études scientifiques et 20 rapports de la société civile et  des témoignages détaillés de 144 personnes voisines aux cinq plus grandes mines de cobalt et de cuivre. Et les conclusions, rendues publiques en mars 2024, sont juste inquiétantes.

« 56 % des personnes interrogées disent avoir constaté de plus en plus de problèmes gynécologiques et reproductifs chez les femmes. Il s’agit de menstruations irrégulières, infections urogénitales, fréquentes fausses couches. Et, dans certains cas, malformations congénitales… « , ont -elles  expliqué dans leur rapport. 

source: rapport Raid-Afrewatch/ La Guardia / Denise
Scandale toxicologique

Début 2024, les chercheurs de Lubumbashi et de Bruxelles , ont analysé des échantillons d’eau, d’air et de sol prélevés dans le Katanga. Et ils sont d’accord sur le caractère préoccupant de cette situation, non exclusive au seul,  quartier Musonoï. Les résultats préliminaires du Département de toxicologie et du Laboratoire environnemental de l’Université de Lubumbashi démontrent une pollution industrielle acidifiante de l’eau.

« En janvier 2024, nous avons fait des prélèvements dans la rivière Luilu, Musonoï et le lac Golf, au centre de la ville de Kolwezi. Ces cours d’eau sont complètement détruits et gravement pollués par l’activité minière. Il n’y a plus de vie aquatique » déclare Célestin Banza Lubaba. Il est professeur en santé publique et directeur de l’unité de toxicologie de l’Université de Lubumbashi .

Prof Célestin Banza dans son laboratoire de toxicologie à Lubumbashi/ Crédit photo- Denise

Les études ont révélé que les sociétés minières rejettent aussi, dans l’air et le sol, des particules minérales . C’est notamment du cuivre, du cobalt, du plomb, de l’arsenic,  du mercure…. Or, ajoute Célestin Banza, « de fortes concentrations de ces minéraux detruisent dans l’organisme humain  ».

Lire aussi: https://magazinelaguardia.info/2024/03/18/haut-katanga-la-pollution-des-cours-deau-un-danger-permanent/

Benoit Nemery, professeur de l’Université de Leuven – Belgique, partenaire de celle de Lubumbashi dans ce projet, a un avis plus tranchant. « Il existe un scandale toxicologique dans la région du Katanga », a-t-il déclaré. C’était le 04 juin 2024 lors d’un webinaire organisé par Egmont Institute.

Quid de la responsabilité de COMMUS  ?

L’article 204 du Code minier congolais impose à chaque détenteur d’un titre minier de présenter l’étude d’impact environnemental. Celle-ci doit être assortie des mesures de protection de l’environnement et de l’élimination ou limitation des pollutions . Elle doit, en outre, intégrer des mesures de  reconstitution des sites ainsi que de vérification de leur efficacité .

Pour sa part, la filiale du chinois Zijin affirme se conformer à cette exigence. Sur son site Internet,  elle affiche son engagement pour la promotion de la production du cobalt « propre ». Elle déclare solennellement : « S’efforcer de créer des mines vertes répondant à des normes mondiales élevées. Aussi, donner la priorité à la protection de l’environnement écologique. »

Quartier Musonoï, proche de la mine de COMMUS/ crédit photo/ Denise

Un engagement qui soulève toutefois des questions, au regard de ce tableau préoccupant de la santé publique. Face à ces accusations répétées contre elle, nous avons sollicité, à COMMUS, un éclairage à travers un questionnaire. Comme l’attestent ces différents échanges sur la messagerie Whats App du 14, 19 aout et 4 septembre

 

Questionnaire dument reçu par le chargé de communication de COMMUS qui l’a aussitôt transféré à sa hiérarchie. ’’ J’ai envoyé le document à la dame », nous avait-t-il écrit. 21 jours après, nous avons réédité la même demande. Toujours sans suite jusqu’au moment de cette rédaction.

Des pratiques de corruption

Par ailleurs, le Règlement minier (article 11) charge la Direction de protection de l’environnement de veiller à l’évaluation des techniques et mesures d’atténuation des effets négatifs des opérations minières. Mais, la société civile ainsi que les scientifiques déplorent souvent une certaine inertie de l’État vis-à-vis des multinationales.

C’est le cas d’Amnesty International et IBGDH, deux autres défenseurs des droits des communautés. Elles déclarent dans un rapport  que dans la province du Lualaba,  »les services de l’Etat y compris les instances judiciaires sont caractérisés par l’inaction face aux impacts négatifs de l’exploitation minière ».

Selon Maître Donat Kambola, directeur d’IBGDH, les raisons sont muliples. Par exemple, déclare-t-il, les missions de terrain des agents des services de contrôle sont prises en charge par les sociétés minières . ’’ Une pratique, très répandue, dit-il, qui favorise la fraude et la corruption dans le secteur minier.

En plus, Maître Kambola évoque le conflit d’intérêts qui limite l’action du pouvoir public. « Les dirigeants congolais entretiennent des relations d’affaires avec les entreprises minières telle que la sous-traitance. Néanmoins, il est actuellement difficile d’établir, avec des preuves à l’appui, les liens entre eux et les sociétés partenaires aux entreprises minières. Les politiciens utilisent souvent des prête-noms pour leurs entreprises, explique , l’avocat désabusé

Réaction du bureau de l’environnement minier Kolwezi

Mais, Peter Kalenga Kapanga, chef du bureau de l’environnement minier  à Kolwezi, rejette, en bloc, les accusations portées contre son service , spécifiquement, sur le cas du quartier Musonoï. « Il n’y a pas de laxisme, encore moins de corruption dans ce dossier », nous a-t-il déclaré, avant de nous renseigner qu’il est d’ailleurs sur un dossier quasiment bouclé. ’’ Nous avons reçu, ajoute-t-il, d’autres plaintes de la population de Musonoï sur la pollution de l’air à cause de l’élévation du remblai de la société COMMUS. On est sur le dossier et un rapport a déjà été déposé à la hiérarchie quant à ce, a-t-il conclu sans grands détails.

Pourtant, RAID, cette organisation britannique de défense des droits humains, dit avoir recueilli, de certains fonctionnaires, des dénonciations des pratiques de corruption. « Nous recevons fréquemment des instructions politiques pour arrêter des enquêtes en cours où les politiciens sont impliqués. Lorsque les politiciens interviennent dans des affaires purement liées à la pollution, nous devons nous retirer. » Témoignage d’un inspecteur sous couvert d’anonymat auprès des enquêteurs de RAID.

La situation de Musonoï qui ressemble à celle de nombreuses autres communautés révèle la profondeur du malaise ou le calvaire que vivent les populations de cette région du Katanga. Ainsi, les acteurs de la société civile et les chercheurs recommandent vivement au gouvernement congolais d’appliquer la loi en matière de pollution. Ce qui permettra ,non seulement de protéger les communautés locales, mais aussi, la santé de la production des femmes.