RDC : intolérance, dénigrement et menaces en ligne contre la communauté LGBTQI+

En République Démocratique du Congo (RDC) la communauté LGBTQI+ fait face aux discours de stigmatisation et de discrimination mobilisés dans des récits propageant un sentiment de haine et de rejet de cette communauté sur les plateformes sociales. C’est notamment sur X (ex-Twitter) qui semble posséder une forte concentration de récits anti-LGBTQI+, suivis par Facebook et TikTok.
Ces récits se fondent généralement sur le cadre pénal congolais, lequel ne criminalise pas explicitement l’homosexualité. L’article 175 du Code pénal congolais portant sur les outrages aux bonnes mœurs et l’article 40 de l’ordonnance-loi n° 87-010 du 1ᵉʳ août 1987 du Code de la famille sous-tendent un cadre légal limité, celui de la reconnaissance stricte de l’union entre un homme et une femme, excluant, de facto, toute autre forme d’union.
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Ce cadre légal silencieux est souvent utilisé comme le fondement d’un rejet “légitime”, bien qu’aucune loi congolaise ne criminalise explicitement l’homosexualité. Entre avril et décembre 2024, des campagnes de stigmatisation en ligne ciblant les personnes homosexuelles ont été recensées. La plateforme X a enregistré plus de 1.600 posts mobilisant un discours de haine contre la communauté LGBTQI+, avec des termes dénigrants tels que : Woubi , Pédé, Double sim ou encore 2X2. Ces campagnes conduisent aux répercussions physiques et à la polarisation des discours politiques et religieux.


Revendication de criminaliser l’homosexualité et récits anti-LGBTQI+
La première vague des posts anti-LGBTQI+ a débuté le 03 avril 2024 après une publication de Constat Mutamba, ancien député et ancien ministre de la Justice de la RDC. Le post de Mutamba présentait publiquement un projet de loi criminalisant l’homosexualité et revendique des sanctions allant de 5 à 15 ans de prison, pour quiconque, selon son post, pratiquerait un acte homosexuel ou un geste assimilé à l’homosexualité.
Le post de Mutamba a recueilli plus de 89.500 vues, 1.804 interactions et 366 commentaires. Son post a généré un soutien significatif illustré par le ton des réactions. Une grande majorité des commentaires soutient la proposition de loi de Mutamba en s’appuyant parfois sur des arguments d’imposition d’une culture occidentale ou en mettant en des arguments religieux.

Dans une autre vidéo publiée sur TikTok par le compte Lordmandiki092 le 29 mai 2024, on voit Constant Mutamba très viscéral contre la communauté LGBTQI+ en RDC. “Tu fais papa – papa, tu fais maman – maman, prison. Tu as 5 à 15 ans de prison. 2×2, ça doit s’arrêter. 15 ans de prison plus 30 millions de Francs congolais à titre d’amende (environ 10,500 USD – NDLR)”, a-t-il déclaré dans la vidéo qui a eu plus de 35.000 vues, 637 partages et 365 commentaires.
Les publications de Constant Mutamba sur les réseaux sociaux ont généré une forme de polarisation du sentiment anti-LGBTQI+ illustrée par des avis contraires appelant le député Mutamba à considérer d’autres questions sociales jugées, par d’autres internautes, plus critiques au regard de l’homosexualité en République Démocratique du Congo.
Les propos de Mutamba ont déclenché une série de posts sur X et sur Facebook ciblant spécifiquement les personnes appartenant à la communauté LGBTQI+ en RDC. Et c’est particulièrement celles vivant dans la capitale congolaise Kinshasa. Entre le 3 et le 30 avril 2024, au total 64 comptes Facebook congolais ont amplifié son message, récoltant plus de 302.500 vues, 25.014 interactions et 6.133 commentaires.
Des comptes influenceurs comme Pepele News, ont reçu plus d’engagement en amplifiant le message de Mutamba. Sur X, 405 comptes ont également amplifié le propos de Mutamba amassant 1.217.203 vues, 81.040 interactions et 13.816 commentaires.
Des comptes certifiés sur X possédant une taille d’abonnés considérable ont joué un rôle clé dans la propagation de la proposition de la loi criminalisant l’homosexualité de Constant Mutamba, parmi ces comptes, nous avons pu identifier Grace Shako, Mpoyi JoJo, Ngwaza Jean, Christian Limu et Naomie Mbonzi. Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, l’analyse de l’activité des comptes révèle que ces comptes expriment une forme de proximité avec des dirigeants congolais ou encore le pouvoir en exercice au Congo.
Cette effervescence de posts a conduit à des répressions physiques à l’encontre de la communauté LGBTQI+. Un post Facebook publié par Ebale Ya Mozindo, un compte Facebook appartenant à un site d’actualité congolaise, rapportait qu’un homme transgenre congolais identifié sous le nom de “Shakiro” a subi une agression physique et des menaces de mort qui l’auraient contraint de quitter Kinshasa. Cet incident est enregistré 3 jours seulement après la proposition de loi de Constant Mutamba.
Les récits anti-LGBTQI+ ont continué de se propager sur les plateformes en mai et juin 2024 dû à de nouvelles sorties du député Mutamba. Le 31 mai 2025, un post X du média en ligne Beto, annonçait qu’une organisation militant pour les droits de la communauté LGBTQI+ à Kinshasa, non-identifiée, avait plaidé auprès de la Commission nationale des droits humains (CNDH) pour une promotion des droits de cette communauté en République Démocratique du Congo.
Ce post, ayant reçu plus de 102.600 vues sur X, a reçu environ 528 commentaires, dont 87% de commentaires appelés à punir les militants de l’organisation. Le sentiment observé sous le post a révélé un environnement très marqué par un rejet radical de la communauté LGBTQI+, renforcé par des posts, tels que celui publié par “Cardinal de la République” appelant explicitement à dire “NON AUX LGBTQI+”.
Le 12 juin 2024, Constant Mutamba est nommé ministre de la Justice et garde des Sceaux. Parmi les premières mesures, il ordonne à la justice de poursuivre les homosexuels du délit d’homosexualité. Le 19 juin 2024, le Parquet général de Kinshasa instruit le procureur pour “répression méthodique de l’homosexualité”.
Des figures d’influence congolaise étendent de récits anti-LGBTQI+
Le 01 juin 2024, Steve Mbikayi, l’ancien ministre de l’Éducation Supérieur et Universitaire (ESU) avait déclaré que l’homosexualité endoctrine et désoriente les enfants congolais. Mbikayi avait ensuite revendiqué qu’il n’y aura pas de place pour les gays, les lesbiennes ou encore les transgenres au Congo.
Son message qui s’attaque au plaidoyer de l’association militante LGBTQI+, a été relayé par l’un des journalistes les plus suivis en RDC, Israël Mutombo ayant plus de 728.000 abonnés sur X. Le message de Mbikayi relayé par d’Israël Mutombo a amassé plus de 118.000 vues, 1.508 interactions et 312 commentaires.
L’analyse des commentaires sous ce post a révélé une position largement hostile à la reconnaissance de la communauté LGBTQI+ en RDC. Plusieurs utilisateurs expriment une adhésion ferme au discours du député Constant Mutamba. Ceux-ci saluent egalement ses positions comme un retour aux “valeurs ancestrales” et à la “ morale africaine”, et rejetant toute influence occidentale.
Le langage employé par les internautes dans les commentaires oscille entre la stigmatisation et l’appel à la répression sévère contre la communauté LGBTQI+. Certains internautes vont jusqu’à évoquer la peine de mort, l’exécution ou la répression extrême pour “préserver les valeurs “ et “bannir l’abomination”. On note également l’idée que ces pratiques constitueraient un danger pour la société, comparé à un virus ou une menace d’autodestruction.
La religion et le discours anti-LGBTQI+ en RDC
Le sentiment anti-LGBTQI+ qui se cristallise sur les réseaux sociaux en RDC tire également son origine dans certaines prédications religieuses. Certains comptes recensés relaient des vidéos et citations de pasteurs et religieux qui condamnent l’homosexualité en se référant à la Bible.
Le 14 juin 2024, le compte X RDC Mère patrie a publié un post qui revendiqué qu’un homme ne devrait s’unir à un homme de crainte de perdre “sa gloire”. Son post a relayé une séquence de prédication d’un pasteur ivoirien au nom de Wilfreid Zahui. Le post a reçu plus de 26.700 vues et un total de 16 commentaires dans lequel des internautes ont utilisé le terme de “2X2” (un terme péjoratif typiquement congolais pour désigner les hommes qui entretiennent des relations avec d’autres).
Ces messages reflètent un discours plus large au sein des églises congolaises. Une étude menée en 2017 par Hal Open Science sur les perspectives de l’institutionnalisation de l’homosexualité en Afrique, a révélé qu’en République démocratique du Congo, pour les croyants de ces églises, les pratiques homosexuelles sont contraires à leur foi et les personnes homosexuelles sont des gens souillés et immoraux, des gens qu’il ne faut pas fréquenter. Ceci est le point de vue de la majorité des églises qui citent la Bible.
Un cas recensé en 2023 sur Facebook, présente un célèbre pasteur congolais au nom de Marcello Tunasi, qui a déclaré qu’être homosexuel, était une perversion, un satanisme et que cela était démoniaque. Le cardinal Fridolin Ambongo, cité par un journaliste congolais au nom de Steve Wembi dans un post X publié le 24 décembre 2023, a adopté un ton plus nuancé. Il a rappelé que “l’union homosexuelle n’est pas acceptée dans notre Église”.
Selon le cardinal Fridolin, même si les personnes homosexuelles doivent être traitées “avec respect, compassion et délicatesse”, l’homosexualité demeure “un désordre moral contraire à la loi naturelle et à notre culture africaine”. Ses propos ont néanmoins suscité de nombreux commentaires négatifs.
Le compte Milk shake attire particulièrement l’attention avec un message à forte portée biblique. Il a revendiqué qu’il ne “faut pas oublier que la Bible qualifie d’ABOMINATION deux personnes du même sexe qui pratiquent une relation sexuelle, hein, ça a valu la destruction de Sodome et Gomorrhe”. Ce post, au ton virulent, a dépassé 1,2 million de vues, illustrant la puissance de ce type de discours religieux dans le débat en ligne.
Le discours anti-LGBTQ est largement répandu, y compris dans les espaces où le ton initial se veut neutre. Cela se remarque notamment dans les commentaires qui accompagnent des publications sur les réseaux sociaux. Un exemple frappant, un post de TV5 Monde relatant les récentes décisions de la RDC à l’encontre de la communauté LGBTQ a reçu plus de 500.000 vues et généré 282 commentaires, en très grande majorité hostile.
Parmi les réactions les plus radicales, Ilunga Yave Gigi saluait directement le président congolais sur X “Merci @fatshi13 de nous protéger contre cette abomination” ou encore le commentaire Benjamin Amuri, qui affirmait “Nous allons les traquer partout. La RDC n’est pas un pays de l’Occident pour que ces sales pratiques prennent le dessus sur nos us et coutumes. Après tout, nous sommes Africains et nous devons protéger nos cultures. Car, vous ne pouvez pas nous dépouiller de tout”.
Attaques en ligne contre les acteurs défendant les droits LGBTQI+
Sur les réseaux sociaux congolais, l’hostilité ne vise pas seulement les personnes LGBTQI+, mais aussi ceux qui osent défendre leurs droits. En juin 2024, l’opposante et ex-candidate à la présidentielle Bernadette Tokwaulu publie un message rappelant que l’homosexualité, qu’on le reconnaisse ou non, existe depuis toujours, au même titre que d’autres réalités cachées comme l’inceste.
Son propos déclenche une avalanche de réactions hostiles. La journaliste Paulette Kimuntu, qui relaie ce message, subit à son tour des attaques personnelles, certains insinuant qu’elle partagerait elle-même l’orientation sexuelle qu’elle défend publiquement.
Le journaliste Rodriguez Katshuva, basé dans l’Est de la RDC, connaît la même expérience. En rappelant que l’homosexualité n’est ni un délit ni un crime en droit congolais et en dénonçant le populisme de certains responsables politiques, il provoque plus de quatre cents commentaires majoritairement négatifs. De nombreux internautes l’accusent d’être “à la solde de l’Occident” ou de dissimuler sa propre “homosexualité”.
Ces épisodes illustrent un phénomène plus large . il s’agit de l’intolérance numérique se mue en arme contre toute prise de position en faveur des droits LGBTQI+. Et cette hostilité en ligne n’est pas sans conséquence . Car, elle encourage dans la réalité des comportements discriminatoires. Et, parfois, des excès de zèle de la part d’agents de sécurité.
Insulte homophobe utilisée comme arme de discrédit politique
La stigmatisation des personnes LGBTQI+ sur les réseaux sociaux alimente un autre phénomène. il s’agit de l’usage de l’homophobie comme outil de discrédit politique. Certains acteurs en ont même fait une marque de fabrique.
C’est le cas de Ludovic Milambo, membre de la majorité présidentielle et qui se présente comme communicateur privé du Chef de l’État. Pour attaquer un opposant de la coalition Lamuka, Prince Epenge, farouchement opposé à une révision de la Constitution, il recourt publiquement à l’insulte homophobe en l’appelant “pédé”, insinuant qu’il se serait maquillé avant de s’exprimer.
La même rhétorique dégradante est reprise lorsqu’il s’en prend plus tard à un autre politicien, Manix Eyinda. Ludovic Milambo n’est pas un cas isolé. D’autres comptes, parfois anonymes, emploient le même vocabulaire pour ridiculiser leurs adversaires. Dans ce contexte, le terme “pédé” devient moins une accusation réelle d’homosexualité qu’un outil pour salir l’image de l’autre. Ceci revele en outre combien l’homophobie reste un levier commode du débat politique en RDC.
Cet article a été rédigé avec le soutien de l’Académie africaine pour les enquêtes open source (AAOSI) dans le cadre d’une initiative du ministère norvégien des Affaires étrangères et de Code for Africa (CfA). Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://disinfo.africa/.