Kasumbalesa: le transport illicite des mamans WOWO coute cher à l’Etat

Kasumbalesa est une cité frontalière de la République démocratique du Congo (RDC). Chaque jour plus de 500 camions de minerais et autres traversent cette frontière. À côté, un couloir piétonnier a été mis en service pour les petits transporteurs. Ici, vélos et piétons y font traverser des marchandises. On dénombre aussi plus de 700 femmes appelées mamans Wowo qui transportent des marchandises d’une manière illégale à cette frontière de Kasumbalsa. Ce qui fait perdre des millions de dollars au Trésor public.
Âgée d’une trentaine d’années, Keren traverse la frontière via le couloir piéton. Sur sa tête, cinq paquets de boissons gazeuses. Elle transporte plus de 40 kg. « Je fais mon quota à transporter. Par exemple, aujourd’hui j’ai déjà 25 paquets« , raconte-telle. Ce n’est pas sa seule course. « Si j’ai de la chance, je pourrai encore en trouver d’autres chez un autre client« , raconte-t-elle encore.
Keren n’est pas la seule à faire ce travail. Selon l’Association des femmes actives dans le commerce transfrontalier, AFACT, elles sont plus de 800 femmes à faire ce transport. Parmi elles, on y trouve les femmes de tout âge. Certaines sont très âgées, elles ont plus de 70 ans.
Ces mamans WOWO transportent diverses marchandises. Il peut s’agir de boissons, de l’huile ou d’autres marchandises. Selon l’association de petits transporteurs transfrontaliers, ces femmes font passer au moins 50 tonnes de marchandises chaque jour. Effectivement, chaque femme est capable de transporter entre 200 et 500 kg par jour.
« Je suis en mesure de faire passer la charge de tout un camion. Nous sommes les Mamans Wowo, c’est l’image des camions qui transportent des charges importantes. Nous travaillons en équipe. S’il faut décharger le camion, nous le faisons et puis nous transportons la cargaison jusqu’à la destination au Congo, selon les instructions du propriétaire’, explique Alphonsine, une autre transporteuse. Elles méritent bien leur surnom : « mamans Wowo » (Wowo est une marque de camion), comme pour dire qu’elles sont capables de transporter des marchandises à l’instar d’un camion de marque Wowo.
Perte des gains pour le Trésor public
Si les mamans Wowo sont actives à la frontière, cependant, leur trafic n’est pas reconnu par la direction générale des douanes et accises (DGDA). « On nous interdit de passer avec les marchandises. On nous dit que c’est la fraude », explique Kapinga Josiane, une transporteuse de plus de 70 ans rencontrée à la frontière.
Même si ce trafic est interdit, ces femmes continuent à travailler activement à la frontière. Cependant, ce transport occasionne un grand manque à gagner à l’État congolais. « Plus ou moins 8 millions de francs congolais par jour échappent au Trésor public », explique Malax Luhanga, président de petits transporteurs à Kasumbalesa.
En effet, ces femmes sont au nombre de 800. Et chacune transporte au moins 20 bidons de 10 litres d’huile par jour ou 25 à 50 paquets de boissons gazeuses. Selon la nomenclature de prix, la DGDA exige un paiement de 150 000 CDF pour 150 bidons de 10 l d’huile. Et 50 000 CDF pour 150 paquets de boissons gazeuses.
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Ainsi, si ces marchandises passaient par la voie légale, l’État congolais engrangerait des gains importants. Par exemple, en 2020, les recettes journalières du couloir piétonnier s’élevaient à 75 millions de CDF. Ainsi, si le transport des marchandises de ces femmes est pris en compte, les recettes augmenteront de 16 %.

Des milliers de dollars perçus par des agents auprès de mamans Wowo à Kasumbalesa
Si la DGDA ne perçoit pas des frais pour le commerce des mamans wowo à la frontière de Kasumbalesa, certains agents de l’État, dont la police, et l’armée, exigent des frais à ces femmes. C’est ce que raconte Anto Kajika. « Il y a trois barrières : À la sortie de la Zambie, je paye 500 francs congolais. Au couloir, je donne 1 000 francs congolais et un peu plus loin, je débourse encore 1 000 francs congolais. Une fois en dehors du couloir, d’autres agents des services publics nous attendent. Des fois, je négocie avec eux et ils me laissent passer. »
Christine, rencontrée en dehors du couloir piétonnier où elle dépose les colis transportés, raconte : « Il y a beaucoup de services. Nous donnons de l’argent à la police, aux agents de l’ANR et même à certains militaires« , confia-t-elle. Tout l’argent récolté par ces agents n’entre pas dans les caisses de l’État. C’est au moins 800 millions de CDF qui atterrissent dans les poches des individus.
« Notre association veut bien organiser les choses. Nous voulons orienter les mamans vers les bureaux de la douane pour qu’elles paient afin qu’elles puissent être acheminées vers l’extérieur du couloir. Mais ce sont les services qui sont là-bas qui ne veulent pas. Ainsi l’argent qui devait entrer dans les trésors publics, ils le perçoivent frauduleusement », dénonce Solange Masengo, présidente de l’AFACT.
Réactions des services
Contactée, la Police nationale congolaise indique que la police n’a pas le droit de percevoir de l’argent à la frontière. « L’ordre opérationnel établi par le vice-premier ministre de l’Intérieur limitant le nombre de services à œuvrer aux frontières stipule que les services habilités à prester aux frontières sont : la DGDA, l’Office congolais de contrôle (OCC), l’hygiène aux frontières, la Direction générale de l’immigration ainsi que la police aux frontières (PNC) », explique le porte-parole de la police du Haut-Katanga, le major Charles Lwamba. « Malheureusement, il y a tous les services qui s’invitent en créant la confusion. Ce sont des services non autorisés à œuvrer aux frontières qui demandent de l’argent », dit-il encore.
Les responsables de l’armée à la frontière de Kasumbalesa n’ont pas pu répondre à la question de savoir pourquoi les éléments des FARDC perçoivent de l’argent auprès de ces femmes appelées mamans WOWO. Nous avons contacté plusieurs fois ces responsables sans succès.