RDC : pays-solution ou illusion climatique ?
Le concept “pays solution” est au centre de débats traitant de l’environnement et de l’urgence climatique en République Démocratique du Congo (RDC). Prononcé pour la première fois en 2021 par le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi, lors de la 26e conférence sur le climat (COP 26) à Glasgow, ce concept a pour connotation de présenter la RDC comme acteur crucial dans l’atténuation du changement climatique et la transition énergétique grâce à ses ressources naturelles et ses minerais stratégiques.
De lors sur les plateformes telles que X (ancien Twitter), Facebook et TikTok, le concept est largement utilisé notamment dans la désignation des initiatives climatiques en RDC, mais également dans de contenus polarisés ou dérisoires liés au sujet climatique et très souvent aux catastrophes environnementales dans les régions congolaises. Sur X, l’outil de monitoring Meltwater a permis de mesurer les nombres de mentions liés à ce concept . Cet outil a permis aussi de mesurer son apparition dans différents contenus circulant sur la plateforme. L’outil a révélé qu’entre Janvier et Octobre 2025, le concept a reçu environ 354 mentions. Il est apparu dans 109 posts, utilisés 3,738 incluant les commentaires et les retweets. Cette considérable présence est également due à une montée de récits sur le climat dans la période désignée, marquée par des catastrophes environnementales survenues principalement à Kinshasa.

Une hypercommunication
`Sur X, la communication officielle bat son plein. Les comptes de la présidence de la République, de la Primature ou encore des ministres comme celui de l’Environnement ou des Communications et des Médias rappellent presque chaque semaine que « la RDC est le pays-solution ». Ce narratif est martelé, relayé, amplifié. Le 6 novembre 2025, la Présidence a annoncé sur son compte x l’arrivée de Félix Tshisekedi au Brésil pour la COP 30. Le message promettait que le chef de l’État allait, une fois de plus, défendre cette idée. Le post a été vu 56 000 fois et partagé 123 fois.

Capture d’écran d’une publication sur X de la présidence de la RDC
Le compte X de la Primature diffuse également fréquemment des posts soulignant que la RDC est un pays solution. Par exemple en juin 2025 à Osaka ou la Première ministre de la RDC Judith Suminwa a mis en évidence les ressources qui font de la RDC « pays solution ». Ce narratif est aussi largement relayé par des personnalités politiques et les médias, notamment Radio Okapi, Pepele News, Israël Mutombo ou encore Desk Nature.

Capture d’écran d’une publication de Radio Okapi sur X
Malgré cette hyper communication, certains congolais n’y voient que des simples mots. C’est le cas de Peter Kabamba qui soulève sur X une question importante : « RDC pays solution. Pour qui ? ». Ce post a reçu plus de 15 000 vues. Plusieurs commentaires sur ce post montrent le scepticisme des populations sur les capacités des dirigeants de faire de la RDC un Pays-Solution aux effets du changement climatique. « Pays solution pour nos politiciens. C’est leur solution pour devenir milliardaires en volant les richesses du pays ». « La RDC n’est pas un pays solution, surtout pas avec l’actuelle génération des dirigeants qui ne savent pas voir au-delà de leurs nez ».

Capture d’écran de la publication de Kabamba Albert sur X
Le compte La RDC Notre terre sans pétrole va plus loin. Dans une publication le 20 novembre, il estime que le pays est loin d’être une solution. « La RDC est-elle un « Pays-Solution » pour le monde, ou un cauchemar pour ses propres habitants ? On nous dit que nos forêts et nos minerais sauveront le climat. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre. Déforestation, pollution, pauvreté et exclusion : c’est le prix que les communautés locales paient actuellement pour cette transition. »
Mais pour les autorités de la RDC, il ne s’agit pas que des simples mots. Dans son argumentation pour soutenir cette idée, la RDC évoque ses immenses ressources, dont la forêt, les ressources stratégiques, les réserves en eau douce et une diversité de la biodiversité. C’est ce qu’a souligné en juin 2024 Eve Bazaiba, alors ministre de l’Environnement, à Tropical Forest Forum à Oslo. « La RDC participe à Oslo Tropical Forest Forum comme Pays-Solution, car la solution est basée sur la nature : 1. 62% des Forêts tropicales humides du Bassin du Congo ; 2. 10% de réserves d’eaux douces de la planète dont 52% d’Afrique ; 3. Des tourbières (70 %) ; 4. Une riche biodiversité ».
Une gestion adéquate de tout ce potentiel peut grandement aider à combattre le changement climatique. C’est ce que pense certains sur les réseaux sociaux. C’est le cas de Omeon Jean. Au-delà du slogan RDC solution, renforçons nos capacités de négociations afin d’être écouté, considéré et avoir des résultats réels. La solution est celle de créer un comité scientifique pouvant trouver quel type de diplomatie environnementale ».
Une forêt en régression
La RDC abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, avec près de 155 millions d’hectares. Pourtant, il recule à grande vitesse. D’après le Global Forest Watch, le pays a perdu plus de 500 000 hectares de couvert forestier rien qu’en 2023, soit l’équivalent de la superficie du Kongo-Central. La Banque mondiale pour sa part indique : « La RDC a perdu environ 6 % de son couvert forestier entre 2000 et 2020 ». Ce qui reste le taux le plus élevé dans le bassin du Congo.

Graphique comparatif de la perte de forêt entre le Gabon, le Cameroun et la RDC / Source : Banque Mondiale
Les causes de cette perte de forêt sont connues : exploitation illégale du bois, agriculture sur brûlis, l’exploitation minière anarchique ainsi que la carbonisation des bois (makala), selon un rapport de la Division de l’aménagement forestier publié en 2019. Néanmoins, dans la lutte contre le changement climatique, le gouvernement a signé plusieurs accords de protection, notamment avec l’Initiative pour la Forêt d’Afrique centrale (CAFI).
Une grande partie des fonds promis par CAFI, plus de 500 millions de dollars depuis 2016, n’a toujours pas produit d’impact visible. « L’un des représentants de la société civile se plaint que les fonds n’ont jamais été décaissés. Mais qu’est-ce qu’on avait fait de 200 millions $ du CAFI du 1ᵉʳ cycle de 5 ans ? », s’interroge un internaute sur X. Ebuteli, un institut des recherches en RDC, indique que le secteur de l’environnement est miné par la mauvaise gouvernance des fonds. C’est même constat que fait l’ONG d’enquête et de plaidoyer environnemental et climatique Global Witness dans l’un de ses rapports.
Sur les réseaux sociaux, le journaliste Joseph Kitsita donne des exemples de cette mauvaise gouvernance en citant un rapport d’audit de l’Inspection générale des finances (IGF) : « RDC : Tous les anciens ministres de l’Environnement, entre juillet 2014 et mai 2020, ont vendu plusieurs concessions forestières sans verser un sou au Trésor public. Les concessions du domaine privé de l’État ont été aliénées en violation du code forestier (Rapport audit IGF) ».
ture d’écran de la publication sur X du journaliste Jephté Kitsita
Un sous-sol vert, une exploitation brune
Le paradoxe congolais est encore plus flagrant dans le secteur minier. Alors que le pays fournit près de 70 % du cobalt mondial, métal essentiel pour les batteries électriques. Un atout écologique mondial, son exploitation demeure un désastre environnemental local. Sur X, beaucoup dénoncent une exploitation polluante. P-lems Lunda Mulongo indique par exemple que « les populations du Lualaba et du Haut-Katanga sont sérieusement exposées à la pollution liée à l’exploitation minière ».
L’effondrement, le 5 novembre, du bassin de rétention de l’entreprise Congo Dofang Mining (CDM) en est une illustration récente d’une exploitation polluante des minerais qui contribuent à l’atténuation du climat. Des eaux chargées de produits chimiques ont inondé les quartiers Kasapa et Kamatete, avant de se déverser dans la rivière Lubumbashi.
Compte tenu de l’ampleur de la catastrophe, l’Ambassade des États unis a relaté cette information sur son compte Usa ambassy francais : « La catastrophe provoquée par le déversement minier en RDC par CDM, une société minière chinoise, met en lumière sa négligence et son mépris pour le peuple congolais ». Même le ministre des Mines en RDC Louis kabamba Watum en a fait écho sur X.
Un rapport de RAID et d’African Resources Watch (Afrewach) publié en 2024 révèle que la pollution toxique due à l’exploitation industrielle du cobalt en République démocratique du Congo (RDC) a des effets dévastateurs sur l’homme et l’environnement. Pour certains internautes, le pays doit faire plus. Jean-Pierre Maghetsi Kasma a écrit sur X : « La RDC doit faire le choix entre pays solution et pays pollution. L’expansion pétrolière en RDC est un véritable danger pour nos forêts, nos eaux ainsi qu’aux communautés locales ».

Capture d’écran de la publication sur X de Jean-Pierre Maghetsi Kasma
Un discours politique sans cohérence
À la pré-COP 27 de Kinshasa, en 2022, le président Félix Tshisekedi déclarait que la RDC devait « transformer son potentiel écologique en moteur de développement durable ». Déjà en 2021, l’internaute Mongole Descartes alertait déjà sur l’incohérence entre discours et réalité. « Le discours de la diplomatie climatique de la RDC « Pays solution » porté par la ministre d’État – risque de se déconnecter de la réalité. Sur le terrain, les parties prenantes semblent restées plus dans la théorie que dans la pratique… », avait-il écrit.
D’autres internautes fustigent également ce décalage entre le discours et les actions concrètes. Pour cet internaute John Kirongozi le pays ne fait aucun effort alors que les effets du changement climatique se ressentent sur la ville de Kinshasa par exemple. Certains internautes estiment que les dirigeants s’arrêtent au niveau du discours. « Pouvez-vous commencer par étudier et vous documenter sur cette question ? Sur ces enjeux ? Vous n’avez peut-être pas le temps en dehors de celui des déclarations ! », réagit l’internaute Mbelu Babanya.
Par exemple, la RDC s’est engagée à réduire de 21 % les émissions de Gaz à effet de serre. Cependant, cet engagement dépend des financements extérieurs. Car le pays n’est capable de réduire que 2 % de ses émissions sur fond propre. La Banque Mondiale alerte : « En RDC, l’absence d’alternatives au bois de chauffe menace l’intégrité de la 2ᵉ plus grande forêt tropicale du monde, mais des solutions sont étudiées afin de réduire la grande pauvreté et de préserver les ressources pour l’avenir ».

Infographie sur les angagements de la RDC
Un narratif pour capter des financements ?
Depuis le début de cette campagne médiatique renforcée sur les réseaux sociaux, le pays insiste également sur le fait qu’elle a besoin des financements. Eve Bazaiba, alors ministre de l’Environnement, insiste sur le fait que son pays doit recevoir des financements. Un discours que répète régulièrement la Primature ou encore le président de la RDC, Félix Tshisekedi, comme lors de la COP 30 à Balem.

Capture d’écran d’une publication sur X de la présidence de la RDC
Cependant, certains internautes estiment que pour bénéficier de financements climats, le pays doit agir en faveur du climat. C’est le cas de Nsenga John. Il réagissait à une publication de l’ancien ministre de l’Environnement sur le financement climat : « C’est le même discours qui tourne en boucle dans toutes les conférences climat. Nous attendons les actions ».
Même si le narratif « pays solution » paie, car le pays reçoit déjà quelques financements, la Banque mondiale indique que si la RDC continue sur sa trajectoire de croissance actuelle et aucune mesure n’est prise, le Changement Climatique pourrait entraîner une perte de PIB comprise entre 4,7% et 12,9% d’ici 2050.
Cet article a été rédigé Par Godlive Nyemba, avec le soutien de l’Académie africaine pour les enquêtes open source (AAOSI) . C’est dans le cadre d’une initiative du ministère norvégien des Affaires étrangères et de Code for Africa (CfA). Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://disinfo.africa/.

