Lubumbashi: l’accès aux services de planification familiale, un droit reconnu aux couples, et ignoré par les femmes
La santé maternelle et néonatale constitue l’un des défis majeurs de la République démocratique du Congo et l’une de ses priorités dans le domaine de la santé. Cependant la situation reste préoccupante suite à la modicité du budget alloué à la santé. Ce qui constitue un frein à l’accès aux services de planification familiale pour les couches les plus pauvres de la population. La participation pleine et égale des femmes dans le processus de développement est liée à leur accès à la planification familiale pour qu’elles soient en mesure de prendre des décisions libres et éclairées au sujet de la fertilité. A Lubumbashi les familles les plus pauvres sont souvent celles qui ont le plus grand nombre d’enfants. Certains parents sont même opposés à la politique de planification et de limitation des naissances, estimant que c’est un péché grave. Les messages sur la contraception ont encore du mal à passer.
A 39 ans Rachel BIYOMBO a huit enfants. Pour cette mère de famille qui habite Kasungami, un quartier périphérique de Lubumbashi, les enfants sont sa richesse de demain. Sentinelle dans une entreprise locale, son mari a un salaire mensuel de 100 milles francs congolais. « L’enfant est un don de DIEU et personne sur la terre ne peut empêcher sa venue au monde. Il faut ainsi faire autant d’enfants que DIEU en donne » renchérit elle. A ceux qui recommandent aux familles de planifier les naissances elle répond que c’est un péché grave devant Dieu.
Plusieures familles à Lubumbashi comme celle de Rachel considèrent les enfants comme une richesse. Si pour les couples dont le niveau de vie et d’instruction est assez élevé, la moyenne d’enfants se situe autour de six enfants, elle va au-delà de dix enfants pour des familles généralement pauvres et analphabètes. La majorité des parents voient leurs enfants comme une sorte d’investissement ou de garantie pour leurs vieillesses : les filles qui se marient leur apportent la dot, et les garçons qui réussissent leurs études un avenir plus radieux…
Selon le rapport du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) publié en 2010, La République démocratique du Congo est parmi les six pays au monde qui portent 50 % de la charge de la mortalité maternelle. Les facteurs de cette mortalité sont : les fréquences des grossesses non désirées, rapprochées, précoces, ou tardives, les accouchements non assistés par un personnel qualifié, la faible capacité de prise en charge des grossesses à risque, et les us et coutumes défavorables.
« Une famille nombreuse signifie des bouches à nourrir et pas seulement dans un contexte où les revenus des familles sont limités, il est important de mettre l’accent sur l’espacement des naissances pour que la naissance de chaque enfant soit décidée et que la famille ait les moyens d’assumer la survie de cet enfant », explique Serge Npunga, formateur sanitaire à l’hôpital général de référence Katuba.
Docteur Bob Kabamba, Coordonnateur Provincial du PNSR (Programme national de santé de la reproduction) déclare que « 26 % des grossesses interviennent dans des intervalles inter-génésiques courts, c’est-à-dire inférieurs à 24 mois, nuisant ainsi à la santé des mères et des enfants ; et environ 7 % des accouchements surviennent chez les femmes de plus de 45 ans et qui ont plus de sept enfants ».
Mère de 12 enfants à 43 ans Thérèse NGOMBA affirme les avoir eus sans nécessairement les avoir voulus à chaque fois. Car espacer les naissances n’est pas une chose facile avoue-t-elle. Et à cause de la pauvreté elle a perdu trois d’entre eux en une seule année, parcequ ils étaient malnutris. Yvette MONGA gynécologue obstétricienne, explique que faire passer le message sur la planification familiale n’est pas une tâche facile. « Les équipes qui font ce travail rencontrent diverses difficultés et les résultats sont souvent négatifs, dans les formations sanitaires on ne trouve que des femmes alors qu’elles ne sont pas libres de prendre une décision en ce qui concerne la planification familiale ». C’est lorsque la sante et la situation sociale de la femme deviennent précaire, que celle-ci éprouve généralement le besoin d’espacer les naissances. Affirme Yvette.
Selon une étude réalisée par l’école de santé publique de l’université de Lubumbashi en 2016, environ 70 % des femmes à Lubumbashi n’ont pas accès aux services de santé modernes. Les contraceptifs sont rares. L’une des conséquences de cette situation est la faible disponibilité des produits avec des ruptures des stocks chroniques enregistrées dans plus de 35 structures sanitaires à Lubumbashi. Il ressort également de cette étude que 12 % des filles sont mariées ou vivent en union avant l’âge de 15 ans. Dans ce contexte, le taux de fécondité des adolescentes âgées de 15 à 19 ans est très élevé à Lubumbashi, soit 135 pour 1000. Environ 28 % d’entre elles ont déjà commencé leur vie féconde, et près de 4 % ont eu une naissance vivante 15 ans. La proportion des adolescentes de 15 à 19 ans ayant commencé leur vie féconde est de 38 % parmi les pauvres contre 16 % parmi les riches, note cette étude. « Les adolescentes mariées précocement sont incapables de s’informer, de négocier des rapports sexuels sains ou d’utiliser des contraceptifs ; Ce qui les exposent aux grossesses précoces, non désirées, à des complications lors de l’accouchement, au recours aux pratiques dangereuses pour interrompre les grossesses non désirées, et à l’infection au VIH »,affirme Jean-pierre Luboya, président de de l’ONG REFED(Réseau des femmes pour le développement).
Aperçu de la planification familiale à Lubumbashi
Selon le rapport de l’UNFPA, la prévalence contraceptive a baissé. Elle est passée de 15 % en 20016 à 5% en 2018 et les besoins n’ont pas été satisfaits en matière de planification. « Cette situation est due à l’insuffisance de l’offre de services de planification familiale et au faible demande occasionnée entre autres par l’ignorance, le faible accès à l’information, la persistance des pesanteurs socio culturels, la faible implication des hommes, et le faible statut de la femme », estime Mme Kabera Mujijima Bora, Chef de division Genre, Famille et Enfant au Katanga.
Une lutte de second plan
L’accès universel à la planification familiale est reconnu comme un droit humain, au centre de l’égalité des sexes et de l’autonomisation de la femme, et aussi comme un facteur clé de la réduction de la pauvreté et la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. Dr Kabamba affirme que « La planification familiale a été reléguée au second plan durant des années, devant l’importance croissante d’autres problèmes pressants de santé tels que le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme ».
D’après la cartographie d’intervention en planification familiale réalisée par le PNSR (Programme National de santé de la reproduction), sur 24 zones de santé sur les 35 que compte la province, seules cinq structures de santé offrent la planification familiale. Parmi elles, deux offrent trois méthodes contraceptives modernes».
Une responsabilité partagée
L’accès à l’information et aux services de planification familiale demeure une préoccupation primordiale du Gouvernement de la République et de ses partenaires, Carole Lumbu avocate au barreau de Lubumbashi, cite la loi n° 15/013 du 1er août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité en son article 13 qui stipule: « L’homme et la femme sont partenaires égaux dans la santé de la reproduction. Ils choisissent de commun accord une méthode de planification familiale qui tienne compte de leurs santés respectives ».
C’est depuis la conférence internationale sur la population et le développement en1994 que la liberté de décider sur le nombre et le calendrier des enfants a été reconnue comme une composante essentielle de la santé reproductive et comme un droit humain. « Les hommes jouent également un rôle important dans le soutien au besoin du couple en matière de planification familiale, car ils ont souvent un pouvoir d’influencer une décision sur l’utilisation des méthodes contraceptives », pense Maitre Pascal Banza de UNFPA. Fonctionnaire et père de 11 enfants Theo TSHIBANDA gagne un salaire qui ne lui permet pas de faire étudier tous ses enfants. «Tous ces malheurs c’est à cause de ma femme qui n’aimait pas que j’utilise les préservatifs dès le début de notre mariage », tente-t-il de se défendre.
Quoiqu’ il en soit Dr BOB estime que tout le monde est interpellé par la planification des naissances. Car pour établir l’équilibre entre les revenus des familles, les nombres d’enfants, et faire ainsi face à la pauvreté l’homme doit accompagner sa femme dans la quête de la sante de la reproduction. «Lors des formations l’idéal serait que les femmes viennent avec leurs conjoints, parce que la planification familiale doit être une affaire de couple».
Que faire ?
Pour mieux répondre aux besoins non satisfaits de la planification familiale, il faut non seulement rendre disponibles les produits de bonne qualité et les services, mais aussi réduire les obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans leurs familles et communautés. C’est notamment l’ignorance, le faible accès à l’information, la persistance des pesanteurs socio culturelles, la faible implication des hommes, le faible statut de la femme, le non accès des femmes aux informations précises sur les contraceptifs, la pression sociale défavorable (y compris la crainte, le divorce, la violence, et la stigmatisation par la communauté), le faible pouvoir de décision des femmes et le manque de confiance aux services disponibles.
Pour concrétiser la vision de la Conférence internationale sur la population et le développement qui est celle d’un monde où tous les individus ont accès à une information et à des services complets en matière de santé procréative durant tout le cycle de leurs vies, il est important que les femmes soient instruites pour briser les coutumes rétrogrades et qu’elles aient aussi une autonomie financière. Elles devront également collaborer avec les hommes qui sont leurs partenaires privilégiés en matière de santé de la reproduction.