Lubumbashi: battues par leurs maris, elles portent plainte en justice

Lubumbashi: battues par leurs maris, elles portent plainte en justice

La violence physique est la forme la plus courante de violences subies par les femmes à Lubumbashi. Au quartier Kasungami dans la commune annexe, et au quartier Kigoma dans la commune Kampemba ; sept femmes sur dix déclarent avoir été tabassées par leurs maris durant le dernier trimestre 2020. Au moins sept femmes ont porté plainte devant la police de protection de la femme. Pour se défendre, certains hommes accusés de battre leurs femmes ont donné leur avis. Poignants témoignages des femmes battues.

« Mon mari m’a frappée publiquement, il m’a même déshabillé devant les gens jusqu’à me crever l’œil » déclare, l’œil gauche bandé, Ginette Odia*, 35 ans et mère de sept enfants, qui vit avec son mari depuis dix ans. « Mais cette fois-ci j’en ai marre il risque de me tuer un jour… », hurle-t-elle devant un préposé de la police de protection de la femme ».

Convoqué, le mari donne sa version des faits. Verbalisé par un officier de police judiciaire, le mari, gardé à vue, a été reconnu coupable de violences, coups et blessures sur sa femme à la police de Kampemba.

Jacquie Kabedi, chargée d’accompagnement et écoute des femmes à la division provinciale du Genre, famille, et enfant du Haut-Katanga, déclare enregistrer au moins dix cas de femmes victimes de violence physique dans le couple à Lubumbashi par mois. « Cela est dû à nos traditions culturelles où l’homme est considéré comme maître de la femme, du swahili :  Bwana yangu. Dès lors que l’homme est maître, la femme est considérée comme esclave et c’est ce qui favorise cette pratique ».

Selon l’article 14 de la Constitution, « les pouvoirs publics prennent des mesures pour lutter contre toutes formes de violences faites à la femme dans la vie publique et privée, ils prennent des mesures appropriées dans tous les domaines de la vie pour assurer le total épanouissement, et la pleine participation de la femme au développement de la nation ».

La Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la femme définit quant à elle, la violence physique comme « l’utilisation intentionnelle de la force physique ou d’une arme pour faire du mal à une femme ou la blesser ».

L’article premier de la déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes, stipule que : « tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques y compris la menace de tels actes ou la privation arbitraire de liberté que ce soit dans la vie publique ou privée ».

Marlene Masudi* affirme aussi avoir porté plainte contre son mari au parquet de Lubumbashi pour violence physique et menace de mort. « Mon mari a commencé à me frapper à chaque fois qu’il rentre ivre à la maison et promet de me tuer si je ne quitte pas mon foyer. Au début je ne prenais pas cela au sérieux, je pensais que c’était sous l’effet de l’alcool. C’est n’est qu’après que j’ai découvert qu’il avait déjà épousé une autre femme, et que c’était une stratégie qu’il avait adoptée pour se débarrasser de moi. Et même devant le parquet, il a dit qu’il ne voulait plus de moi ».

Comme ils s’étaient    mariés religieusement, et que l’article 333 du Code la famille stipule qu’un mariage    purement religieux n’a aucune valeur légale, il n’est pas protégé par la loi, nous a expliqué Mme Kabedi de la division du Genre. Le procureur a condamné l’homme à des dommages et intérêts pour le temps passé avec son ex épouse.

Pour Maitre Serge Lukunga, avocat au Barreau de Lubumbashi et directeur administratif de l’ACIDH, (Action contre l’impunité pour les droits humains), « La violence physique à l’égard des femmes est une atteinte à leurs droits fondamentaux. C’est un obstacle à l’exercice de leurs droits, de leurs libertés fondamentales, comme le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne, le droit pour toute personne humaine de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible.

Cette violence perpétue la subordination des femmes, ainsi que la répartition inégale des pouvoirs entre les sexes. Elle influe sur la santé et le bien-être des femmes. Elle est donc une entrave au développement », conclut-il.

Des efforts de lutte

Le programme « Vers une jurisprudence de l’égalité », élaboré par l’ONG ALFA (Action Large des Femmes avocates) et ses partenaires, figure parmi les programmes conçus pour mieux sensibiliser les juges aux comportements discriminatoires fondés sur le sexe. Ce programme améliore la capacité des juges et des magistrats d’appliquer le droit international et régional des droits de l’homme dans les affaires de violence physique à l’égard des femmes.

En 2015 le réseau F3 Fille, Femme, et Famille a formé plus de 200 femmes dans les quartiers périphériques de Lubumbashi sur la violence à l’égard des femmes et les mariages précoces. La société civile a joué un rôle dans la surveillance de l’application des lois. « La loi sur les violences à l’égard des femmes ne peut donner toute sa force si elle n’est pas correctement appliquée et respectée dans la pratique ; il est également essentiel que les femmes connaissent la législation ainsi que la protection et le recours qu’elle offre, et qu’elles aient la capacité de revendiquer véritablement ces droits si l’on veut que la législation porte ses fruits. Explique Maitre Timothée Mbuya de l’ONG JUSTICIA.

Des conséquences sur les femmes

Une femme enceinte a été retrouvée morte dans sa chambre au quartier Kasungami dans la commune annexe nous a déclaré le chef de quartier « elle était souvent frappée par son mari et ce sont les enfants qui l’ont trouvée morte dans son lit. », témoigne, courroucé, Alfred Ngoie, chef de quartier à Kasungami.

La violence physique accroît le risque pour les femmes de souffrir de problèmes de santé physique, reproductive, et mentale, affirme, pour sa part, Maître Falone Mbaka agent à la clinique juridique. « Les sévices que subissent les femmes victimes de violence physique perturbent leur santé, et leurs comportements sociaux ; elles sont plus susceptibles de devenir alcooliques et toxicomanes.  Elles peuvent aussi présenter des dysfonctionnements sexuels et parfois même, faire des tentatives de suicide. Elles peuvent également souffrir de problèmes de stress post-traumatiques, des troubles du système nerveux central, ainsi que des blessures physiques ou lésions abdominales ».

Une étude menée par la division provinciale du Genre, femme, famille, et enfant en collaboration avec UNFPA (Fonds des Nations-Unies pour la population) auprès des services sanitaires des quartiers périphériques de Lubumbashi en 20 révèle un lien entre la violence physique dans les couples et le décès de femmes pendant la grossesse.

L’étude montre par exemple qu’au quartier Kigoma, dans la commune Kampemba, sur sept hôpitaux fréquentés par une moyenne de 25 femmes enceintes par mois, 16 des décès survenus durant la grossesse résulteraient de la violence physique ; on a observé une tendance similaire au quartier Kasungami dans la commune annexe.

« La peur d’être frappée par son mari a dissuadé une femme au quartier Kigoma d’aborder la question de la contraception, au point qu’elle a eu deux grossesses de suite après une césarienne et en est morte à l’accouchement », confie Aimée Yongua présidente du réseau F3, une plate-forme qui lutte pour la promotion de la santé de la mère et de la jeune fille ».

Les hommes accusés de battre leurs femmes donnent un avis nuancé sur la question.  Pour Donatien Mulongoy, mécanicien de son état, « frapper sa femme est un acte de correction quelle que soit la loi ».  Et pour Didier Kileshe, enseignant dans une école primaire, c’est sous l’effet de la colère et par manque de maitrise de soi qu’il le fait. Il promet d’arrêter avec cette pratique.