Haut-Katanga : la justice vendue par des juges
La corruption est ce qu’il y a de meilleur en RDC. Elle est plus encrée dans le secteur de la justice dans la province du Haut-Katanga et implique principalement des responsables judicaires. Elle est multiforme et les termes équivalents sont innombrables : Comment diligenter un dossier, Ya Makolo, retro commissions, enveloppes rouges, pots-de-vin.
« En janvier dernier, j’ai introduit un dossier pour solliciter le changement du nom de ma cliente. La loi prévoit que dans des telles affaires le juge se prononce dans les 30 jours. Mais ça fait déjà 3 mois que j’attends en vain le jugement. Le juge exige avant tout de l’argent que ma cliente n’a pas », confie Maître Idris Nzeu, avocate au barreau de Lubumbashi. Il y a un mois, elle a écrit au président du tribunal de grande instance de Lubumbashi pour dénoncer l’acte de ce juge mais « « aucune réaction jusque-là ».
À la recherche de l’argent, certains juges vont jusqu’à monnayer le prononcé du jugement. Dans ces cas, si les parties ne payent pas, le jugement est gelé parfois même pendant des années. Selon Maitre Idris Nzeu, nombreuses personnes qui pensaient être en droit ont perdu des procès pour avoir manqué de l’argent à donner aux juges ou négliger de le faire.
C’est le cas de madame Sifa, 48 ans, veuve et mère de 8 enfants. « J’avais le certificat d’enregistrement de la maison et toutes les autres pièces nécessaires. Je n’avais pas l’argent que m’exigeaient les juges, alors ils ont donné raison aux frères de mon défunt mari qui m’ont fait déguerpir de la maison qu’on se disputait. Grâce à leur argent ils m’ont volé mon droit… », Raconte-t-elle, larmes aux yeux.
Un juge qui a requis l’anonymat affirme que cette situation est généralisée dans toutes les instances de la justice du Haut-Katanga. Pour lui, ceci est la conséquence du mauvais traitement des magistrats par l’État congolais pour qui ils travaillent. « L’État ne nous donne pas les moyens nécessaires pour assurer notre indépendance : « Pas d’émolument (salaire) digne à notre statut, pas de moyens de transport ni d’es allocations familiales, souvent pas de frais de logement… C’est normal que l’on soit tenté par l’argent des justiciables pour combler ce vide », confie-t-il.
Suite au monnayage de la justice par des juges des cours et tribunaux du Haut-Katanga, des justiciables préfèrent régler leurs différends à l’amiable. C’est le cas de Monsieur Fabrice, commerçant, qui s’est fait escroquer 1000 dollars américains en janvier dernier :. « J’ai retrouvé l’escroc ; sa famille a proposé de me dédommager avec 500$ en contrepartie de l’argent escroqué et j’ai accepté », atteste-t-il.
Mr Fabrice qui avait les moyens de saisir la justice ne l’a pas fait. « Je n’ai pas confiance en la justice ; elle est généralement corrompue ». C’est pourquoi je n’y suis pas allé. En plus avec elle je n’obtiendrais même pas le peu que j’ai eu à l’amiable. »
Un appel aux sanctions
Pour nombreux, la corruption dans la justice consacre l’impunité dans tous les secteurs de la vie. La nouvelle dynamique de la société civile en RDC (NDSCI en sigle) veut voir les magistrats corrompus et corrupteurs, être condamnés et croupir en prison. Ce vœu est contenu dans une lettre ouverte adressée au Président de la République le 13 août 2020. Cette correspondance signée par le président national de cette structure citoyenne, Jean-Chrysostome Kijana, se base sur l’état de lieu de l’appareil judiciaire qui selon elle, connait un sérieux problème suite à certaines pratiques qui ternissent son image. Il cite la corruption, le déni de justice, la concussion, le clientélisme, le trafic d’influence qui caractérisent bon nombre de ceux et celles qui sont chargés d’administrer la justice. « Aujourd’hui la justice est rendue selon qu’on est riche et, puissant ou pauvre et faible. La justice à double vitesse ! Aujourd’hui, la population dans sa grande partie n’a plus de confiance en notre justice, la tendance étant de recourir à la justice populaire au vu des déceptions enregistrées dans l’administration de la justice », regrette cette structure citoyenne dans a cette lettre ouverte.
Pour Ernest Mpararo, président de la ligue contre la corruption (LICOCO), l’attitude de la Cour d’appel du Haut-Katanga constitue une entrave à la justice. Il évoque l’article 16 du code de bonne conduite de l’agent public de l’Etat en RDC qui stipule: stipule : « L’agent public de l’Etat doit s’abstenir de toute pratique contraire à la morale et à l’éthique professionnelle: la comme -corruption, la concussion, le détournement de la main d’œuvre, des biens, et des deniers publics, le favoritisme, le népotisme, et le trafic d’influence ;. – L’établissement ou l’usage des faux documents ou de toute manœuvre frauduleuse pour se procurer à soi-même ou à un tiers des avantages illicites, ou pour priver un ayant droit de son dû…».
Il appel à des sanctions disciplinaires telles que prévu dans l’article 29 du code de bonne conduite de l’agents public de l’Etat à savoir : « L’agent public de l’Etat qui intentionnellement, par négligence, ou imprudence enfreint ses devoirs professionnels ou se place dans un cas d’incompatibilité est passible d’une sanction disciplinaires conformément aux dispositions du code, du statut, du règlement d’administration ou de la convention collective auxquels il est soumis, indépendamment des peines prévues par le Code Pénal congolais ».