RDC : faibles allocations du budget de l’enseignement primaire et secondaire

RDC : faibles allocations du budget de l’enseignement primaire et secondaire

 En 2019, la République Démocratique du Congo a amorcé une grande réforme dans le secteur de l’éducation. Il s’agit de la gratuité de l’enseignement primaire. Cette réforme fait face à de nombreux défis. C’est par exemple le faible financement de l’école primaire et secondaire.

La rentrée scolaire 2023-2024 est prévue pour le 2 septembre 2024. Et bientôt, les écoles procéderont aux inscriptions et réinscriptions. Au lycée Twendelée dans la ville de Lubumbashi, par exemple, les parents ont reçu des instructions à ce sujet. « On nous a demandé de préparer 20 000 CDF  pour inscrire nos enfants », raconte Martine Kabongo, mère d’une lycéenne. Et d’ajouter : « Pour ce qui est des frais scolaires, nous payons également 15 $ ». (Un dollars se change à 2800 CDF). Non loin de là se trouve une école publique, l’institut Imara. Ici également, l’inscription et l’enseignement ne sont pas gratuits. Sarah est parente d’un élève dans cette école. Son fils étudie dans cet Institut depuis cinq ans. De 2019 à ce jour, elle paie les frais scolaires. « Chaque mois, nous payons 10 $ », dit-elle.

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Et pourtant, selon la circulaire  du ministère de l’enseignement primaire et secondaire (EPST) instituant la gratuité qui date de 2019, les parents ne doivent pas payer les frais scolaires.  « Les mesures d’accompagnement pour la mise en œuvre de la gratuité de l’éducation de base dès la rentrée scolaire 2019-2020 : il s’agit de la suppression, sous toutes leurs formes, de tous les frais scolaires dans les établissements publics d’enseignement budgétisés par l’État. La suppression des frais de motivation payés par les parents d’élèves aux enseignants… », dit cette note circulaire. Mais malheureusement, certaines écoles budgétisées continuent à faire fi des instructions du Ministère.

Circulaire du Ministère de l’Education

Circulaire sur la gratuité
Droit tiers
Circulaire sur l'éducation  primaire
Droit tiers

 Toutefois, cette pratique n’est pas généralisée dans le pays. Elle est appliquée dans les grandes villes des provinces du sud de la RDC. À savoir le Haut Katanga et le Lwalaba. Car dans la province du Haut Lomami ou encore au Nord Kivu par exemple, l’enseignement est effectivement gratuit, renseigne Monga Muoneta , coordonnateur de la société civile à Bukama.

Faible financement

Dans cette région du Sud, les écoles  dénoncent le faible financement de la mesure de gratuité. En effet, la mesure de la gratuité est financée à travers le budget du ministère de l’enseignement primaire et secondaire. Il est à noter que depuis 2019 un budget réajusté est voté pour le ministère de l’enseignement primaire et secondaire. Mais malheureusement les dotations n’atteignent jamais 100%. C’est le cas du budget 2022. Alors que les prévisions  du ministère du budget étaient de plus 3,1 milliards CDF ,les dotations n’ont été que de 2,7 milliards.

Budget de l'enseignement primaire et secondaire voté et Budget exécuté
Source: Ministère du budget/ Guardia/ Godlive Nyemba

La faiblesse des allocations représente des écarts énormes. C’est le cas de l’année 2022. Au cours de cette année l’écart est de 425 millions de CDF. Et au cours des Cinq dernières années, les dotations n’ont été que de  78 % du budget alloué à ce secteur.

Les écarts sur le budget de l'Enseignement Primaire et Secondaire
Guardia/ Godlive Nyemba
Taux moyen d'exécution du budget 2019-2022
Guardia/Godlive Nyemba

En plus des écarts entre les prévisions et les dotations, la rubrique sur les réformes du ministère de l’EPST est difficilement financée depuis 2019. En 2022 par exemple, les prévisions budgétaires sur le financement des réformes étaient de  2 millions de CDF. Mais le taux d’exécution a été de 0%.

 

Les prévisions budgétaires sur les réformes de l'Education
La Guardia

Taux de réalisation des prévisions de la rubrique réforme. Budgets_ 2019-2022

Dépassement budgétaire pour des institutions

L’État congolais peine à concilier ses prévisions budgétaires et les allocations dans le domaine de l’éducation. Le professeur Augustin Tshijika à la faculté de psychologie et de sciences de l’éducation à l’université de Lubumbashi estime qu’il se pose un problème de redistribution. « L’État ne parvient pas à bien canaliser l’argent qu’il est censé percevoir. » De plus, lui-même n’est pas capable de bien générer l’argent. Alors cela devient un grand défi pour la gratuité de l’enseignement », explique-t-il.

Christelle Nsimba, chargée de communication du Centre de Recherche en Finances Publiques et Développement Local (CREFDL), pour sa part, pense que cette situation est due au fait que « tous les fonds sont destinés aux rémunérations et au fonctionnement des institutions ». En effet, dans le budget national 2024, par exemple, les rémunérations des institutions ( ex :Présidence, Senat, Primature), le fonctionnement des ministères et des institutions consomment 34 % du budget général. Alors que toutes les réformes du pays  dans tous les secteurs prévues pour cet exercice ne seront financées qu’à 2,1 % selon les prévisions budgétaires.

Les prévisions budgétaires sur le financement des réformes

Les prévisions budgétaires et année

 

En plus du fait que le gros du budget est destiné au fonctionnement et aux rémunérations, certaines institutions comme la présidence ou le Senat sont toujours en dépassement budgétaire. « Les institutions dépassent toujours leur budget faute de contrôle », dit  encore Christelle Nsimba et d’ajouter : « Les secteurs clés souffriront toujours des financements et les institutions seront budgétivores, et la corruption et le détournement des fonds destinés à l’exécution des projets sociaux seront toujours le maître mot. »

Effectivement, les données des prévisions et de l’exécution du budget entre 2019 et 2022 démontrent cela. À titre d’exemple, en 2022,  la Présidence, la primature, le Senat et l’Assemblée Nationale ont toutes dépassé leur budget.

Exécution du budget 2019
La Guardia
Exécution du budget 2020
La Guardia
Exécution du budget 2021
La Guardia
_Exécution du budget en 2022
La Guardia

Evolution du taux d’exécution du budget/ en quatre

Fonctionnement des écoles

Les écarts entre les prévisions budgétaires et les allocations ne permettent pas au ministère de l’éducation de fonctionner de manière optimale. Ainsi, les écoles se plaignent du faible taux de frais de fonctionnement. Elles dénoncent également la non prise en compte de toutes les nouvelles unités.

S’agissant des frais de fonctionnement, par exemple, les données du ministère de l’Enseignement primaire et secondaire  indiquent que les frais de fonctionnement varient entre 200 mille francs congolais CDF  et 10 millions CDF .Ce qui, dans le cas de certaines écoles, est insuffisant.

Frais de fonctionnement des écoles
Source: Ministre du l’Education/ Guardia/ Godlive Nyemba
Comprendre les types d'écoles en RDC
Canva/ Guardia

 

L’école primaire Komesha située dans la commune de Katuba à Lubumbashi est un établissement scolaire public de plus de 19 classes. Pour Ngoyi Kapoya Jean-de-La-Croix, directeur de cette école, ces frais sont insuffisants. « Dans ce fond, il faut y déduire le salaire de la sentinelle et les produits d’entretien des toilettes ainsi que diverses réparations ou encore remplacer des bancs », explique-t-il.  

Ce que déplore également Karil Kazang, chargée de l’Éducation à la Société civile du Haut-Katanga. « La gratuité de l’enseignement est une bonne mesure. Mais elle n’est pas suffisamment financée. Surtout en ce qui concerne les frais de fonctionnement », déplore t-elle. Elle regrette également le fait que dans certaines écoles les élèves doivent eux-mêmes nettoyer les salles des classes et même les toilettes.

Des enseignants « non mécanisés »

Outre les faibles frais de fonctionnement, certains enseignants ne sont pas mécanisés . (Il s’agit des enseignants nouvellement recrutés qui ne reçoivent pas des salaires). Et pourtant, la note circulaire de 2019 instituant la gratuité indiquait que parmi les préalables de la mise en œuvre de cette mesure, 15 mille enseignants non mécanisés allaient être pris en charge. Mais jusqu’à ce jour, certains d’entre eux ne reçoivent toujours pas de salaire.

Angèle KAYIMBA est du nombre. Elle est enseignante à l’école publique Mwenge située dans la commune de la Ruashi à Lubumbashi. « Depuis quatre ans que je travaille dans cette école, je ne reçois pas de salaire. Et ma vie est très difficile », raconte-t-elle. Un grand nombre d’enseignants non mécanisés vivent la même situation.

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Pour remédier à ceci, Christelle Nsimba propose le « respect à la lettre des engagements budgétaires dans tous les secteurs publics pour éviter les dépassements. De plus, il faut renforcer le contrôle pour ne plus revivre les mêmes scènes », explique-t-elle. Ainsi, le budget sera respecté. Aussi, les réformes comme la gratuité de l’enseignement primaire ne poseront aucun problème dans leur exécution.

Par exemple, l’écart entre les prévisions et les allocations de 2022 pouvait permettre de payer au moins 785 612 nouvelles unités. Ce qui réglerait le problème des non mécanisés. Banza Mokili est président du syndicat des enseignants des écoles publiques conventionnées catholiques dans la province du Haut Katanga. Pour lui, c’est la conséquence d’un financement inadéquat. « Pour que cette gratuité soit pérenne (…), il faudrait qu’il y ait un financement conséquent », affirme ce syndicaliste.  Selon lui, c’est  l’unique voie « pour que l’enseignant retrouve sa place ».