Lubumbashi : comment savoir si les malformations congénitales sont en lien avec l’exploitation minière ?

Lubumbashi : comment savoir si les malformations congénitales sont en lien avec l’exploitation minière ?

Dans la ville de Lubumbashi située dans la province du Haut Katanga au sud de la RDC, les bébés naissent avec des malformations congénitales. Certaines d’entre elles sont attribuées à une exploitation minière. C’est une  enquête  publiée en 2019 par l’Ecole de santé publique de l’Université de Lubumbashi qui révèle l’information. À ce jour, il est possible de déterminer si la malformation est due à la pollution des métaux lourds ou pas.

La vérification en bref

Toutes les malformations congénitales ne sont pas liées à l’exploitation des mines à Lubumbashi.
Les scientifiques ont retrouvé des traces de manganèse et de zinc dans l’organisme des mères testées
Deux malformations congénitales sur dix sont d’origines génétique contre 8 d’origines inconnus
Il est possible d’avoir des bébés ayant toutes formes de malformations par le simple fait de vivre à Lubumbashi.

 

Contexte

Depuis plus de deux décennies, la ville de Lubumbashi connaît une intensification de l’exploitation minière à cause du besoin mondial en minéraux. En 2002, l’État congolais a libéralisé ce secteur avec l’entrée en vigueur du Code minier. Tenez par exemple qu’en 2000 la RDC ne disposait que de 25 opérateurs miniers et 9 titulaires miniers .En2023,, le pays dispose de 1964 opérateurs miniers et 415 titulaires des titres et 1276 coopératives des mines. Et en même temps 65 % de la population vit dans la pauvreté selon la Banque Mondiale..
Après la libéralisation du secteur, l’exploitation artisanale de ces minerais s’est également intensifiée. En 2000 , il n’existait que trois coopératives minières alors qu’en 2023 il en existe 1276. Les orpailleurs travaillent dans les mines sans aucune protection. Avec des bêches, burin et barres des mines et souvent à mains nues.
Cette exploitation intensive a apporté son lot de problèmes. Une étude publiée en 2012 a démontré qu’entre 200 et 2010 , le taux de prévalence des malformations congénitales était de 5, 84 pour 1000 naissances.

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Vérification

L’étude réalisée en 2019 a démontré qu’il n’y a aucun doute sur le fait que certaines malformations ont un lien direct avec l’exploitation minière. Elle a également relevé que 20 % des malformations sont d’origine génétique. Dans la ville de Lubumbashi par exemple, le nombre de cas relevé venait des quartiers populaire et ouvrier de Tshiamilemba et Kabecha . Dans ces deux quartiers , une entreprise indienne Chemical of Africa, (Chemaf) , y avait implanté son usine de transformation de cuivre depuis 2002. “Ici pendant plusieurs années nous avons reçu beaucoup de cas de malformations congénitales. Des avortements et des maladies pulmonaires”, explique Lite Solange infirmière en chef au centre de santé de Tshamilemba.  Et d’ajouter : « entre 2018 et 2022 , nous avons enregistré trois cas . Pour une petite structure, c’est beaucoup. Et pourtant nous avons longtemps manifesté ,sans succès.  »

Des malformations en lien avec les mines

Certaines malformations congénitales ont un lien avec certains minerais. « Notre étude a révélé des associations entre les malformations congénitales visibles et l’exposition professionnelle du père à l’exploitation minière, les emplois rémunérés de la mère et les concentrations prénatales de Manganèse et de Zinc », précise le rapport.
Il faut dire que « le manganèse et le zinc à des doses faibles sont indispensables au corps humain », explique Thérèse Lukenge, experte en chimie nucléaire. « Toutefois, à des doses industrielles, cela a un effet néfaste sur la santé », dit-elle encore.  Selon l’Institut national de santé publique du Québec, le manganèse à des fortes doses affecte le cerveau du fœtus.  Quant à l’excès de zinc, il affaiblit le système immunitaire.
Une récente enquête publiée en 2020 a Lubumbashi par le professeur Didier Mulamba Lez de la faculté de médecine de l’Université de Lubumbashi a aussi établi un lien entre certaines cardiopathies congénitales et l’exploitation minière. « Nous avons répertorié plus de 27 métaux lourds à des taux les plus élevés chez des jeunes patients atteints de myopathies cardiaques. Les plus importants que nous avons détectés, ce sont notamment le cuivre, l’arsenic, l’uranium et tant d’autres.”

Détecter les malformations en lien avec l’exploitation minière

Pour arriver à détecter le cas de malformation en lien avec l’exploitation minière ou non, des tests sont nécessaires. Le Professeur Célestin Banza Lubaba, coordonnateur de l’unité de toxicologie de Lubumbashi et initiateur de l’enquête sur les malformations à Lubumbashi, explique qu’il faut le concours des médecins et des chimistes. « Nous avons fait des prélèvements du sang et des urines de la mère. Nous relevons également des échantillons dans le cordon ombilical », dit le professeur Célestin Banza .
“En plus, les chimistes devaient se rendre au domicile pour comprendre la situation géographique de la personne enquêtée. Voir si la maison est à côté d’une entreprise minière où les minerais sont entreposés dans la parcelle. Là aussi, il y a des prélèvements sur le sol, sur les aliments qu’ils ont consommés ». Explique encore Célestin Banza.
Toutefois, il ne suffit pas de vivre auprès d’une mine pour être exposé à la pollution dans la ville de Lubumbashi. Le Professeur Arthur Kaniki, directeur du laboratoire de l’environnement de l’Université de Lubumbashi, explique que « la ville de Lubumbashi est exposée. Le passage des camions transportant des minerais dans la ville, la pollution des cours d’eau influent sur la qualité de l’air, du sol, de l’eau et même de notre alimentation ».  Les résultats des tests du laboratoire ont été clairs. Ainsi , l’absence des métaux lourds dans les échantillons prélevés est jusque-là preuve que la malformation est d’origine génétique. Par exemple, pour cette enquête, sur 138 cas étudiés, 80 % sont d’origines inconnues. Et en même temps  20 % sont des malformations génétiques. Selon le professeur Kaniki, il est possible d’avoir des bébés ayant toutes formes de malformation par le simple fait de vivre à Lubumbashi.

De la difficulté à établir les responsabilités

Bien qu’il soit clairement établi que certaines malformations sont en lien avec les mines, à ce jour, il est difficile d’établir les responsabilités. « Car il est difficile de lier directement une malformation à une mine ».  Explique Sabin Mande, chef de travaux à la faculté des Droits à l’Université de Lubumbashi, défenseur des droits humains et auteur du livre Droit à l’environnement. Et d’ajouter : « Il faut arriver à établir le lien de cause à effet. » Et aucun employeur du secteur n’accepte cette responsabilité ».
Le problème est qu’à Lubumbashi, les ONG ou d’autres groupes de pression ont des difficultés à mener ces genres de batailles. « Dans ce domaine, il est difficile de prouver que telle entreprise est à la base de la malformation. Ainsi, nous nous abstenons de travailler sur cette piste.  Car elle nécessite une forte spécialisation . Et  elle requiert aussi des équipements modernes de laboratoire pour des investigations et analyses ».  Explique pour sa part Freddy Kasongo, Secrétaire exécutif de l’Observatoire d’Études et d’Appui à la responsabilité sociétale OEARSE.
Et pourtant, la RDC dispose depuis 2011 d’une loi relative au droit à l’environnement. À l’Article 68, on peut y lire : « Sans préjudice des peines applicables pour infractions à la présente loi et ses mesures d’exécution, est responsable toute personne qui, par l’exercice de ses activités, a causé un dommage à l’environnement et à la santé en violation de la présente loi ».

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La liste des maladies traine

Le Code minier de la RDC renforce ces dispositions. L’Article 285 quater insiste sur les responsabilités en cas de maladies. “Le titulaire du droit minier ou de carrière est tenu de réparer tout dommage causé par des maladies imputables à l’activité minière conformément aux règles de droit commun”. Ce qui est vrai, l’application de ces textes pose un problème. Car le Code minier renvoyait au Règlement minier la responsabilité de lister ces maladies. L’article 405 du règlement minier pour sa part, renvoie la responsabilité aux ministres des mines et de la santé. Et malheureusement jusqu’à ce jour , le gouvernement n’a pas pris aucune mesure jusque-là. Ce qui rend difficile l’application de ces mesures.

Des laissés pour compte

Pour les habitants des quartiers Tshamilemba et Kabecha, ils sont des laissés pour compte. Car , aucune action n’a jamais été menée contre l’entreprise Chemaf. “Tout ce que les habitants ont obtenu , c’est que l’entreprise soit délocalisée. Ainsi depuis le début de l’année ils ne sont plus ici. Mais la population reste impactée”, explique encore cette infirmière. .
Il faut dire qu’à Lubumbashi aucune action en justice n’a jusque là été intentée contre ces entreprises pollueurs. De plus, aucun mécanisme moins encore un processus d’indemnisation n’est mis en place pour la prise en charge de ces malformations pourtant due à la pollution.